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prérogative, sur l’inviolabilité royale, sur l’indépendance du parlement, sur l’étendue et sur les limites de ses privilèges, n’offrent pas une irréprochable correction ; elles sont ordinairement mêlées à des vues de circonstance et à des controverses sur les précédens, toutes choses qui animent d’abord la discussion et qui plus tard la refroidissent : les faits passent plus vite que les idées. En tout, Junius n’est pas un grand publiciste. Aujourd’hui surtout, la science constitutionnelle n’ira pas chercher dans ses œuvres de vives lumières : il n’en sait guère plus en théorie que Delolme, qu’il cite d’ailleurs et qu’il admire ; mais il nous montre la constitution anglaise en action. Il nous enseigne, par son exemple, comment, dans un état libre, ceux qui s’opposent peuvent faire au pouvoir cette guerre de chicane qui est la vie de la liberté pratique, et comment l’ensemble des institutions est une suite de positions qu’il faut occuper et défendre tour à tour pour harceler ou fatiguer l’adversaire, et le faire tomber enfin, épuisé par des attaques journalières ou frappé mortellement dans une occasion bien choisie. L’Angleterre possédait alors tout ce qui devait en faire le modèle des pays libres. Ses droits généraux étaient reconnus en principe et consacrés par des précédens ; ses mœurs politiques étaient formées, du moins en ce qu’elles ont de viril et de résolu, car elles avaient beaucoup à gagner en pureté, en honnêteté. La corruption était alors ouvertement pratiquée, presque ouvertement professée. Non-seulement la vénalité électorale, mais la vénalité parlementaire avait passé en coutume, c’est-à-dire que l’on regardait la distribution des titres et des pensions comme une affaire de parti et comme un moyen licite et permanent de gouvernement. Junius lui-même en critique l’emploi dans de certains cas plutôt qu’il n’en attaque le principe. Un autre fait singulier, c’est que l’unité du ministère n’était pas alors rigoureusement exigée. Les membres d’un même cabinet votaient ouvertement, et même quelquefois parlaient les uns contre les autres, et l’extrême diversité des partis contraignait souvent à laisser subsister au sein du gouvernement une division qui lui ôtait beaucoup de sa force et l’exposait à toutes les influences de l’intrigue. Junius a vivement décrit les conséquences de cet état de choses, et peut-être a-t-il contribué aux changemens en mieux opérés depuis lors dans les idées et dans les habitudes de la politique.

C’est pourtant à la liberté de la presse qu’il a rendu les plus éclatans services. Elle existait assurément avant lui, mais elle lui a dû la position légale qu’elle occupe aujourd’hui, et il mérite, sous ce rapport, la reconnaissance de tout écrivain politique. C’est là tout. À l’exception du talent, qui est des plus remarquables, on ne voit pas ce qu’on pourrait imiter ou envier dans Junius. Le fond de ses idées morales vient de l’antiquité, et l’on reconnaît quelque chose de classique