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commun en Russie, recueillent de jeunes orphelines, les élèvent et les entretiennent dans le luxe sans les prémunir, par une éducation mieux appropriée à leur humble condition, contre les dangers de l’abandon où les laissera quelque jour une séparation nécessaire.

M. Solohoupe, comme humoriste, comme romancier, comme dilettante littéraire, est tout entier dans le Narcotique et dans ce recueil intitulé Hier et Aujourd’hui. Comme peintre de mœurs, nous n’avons encore fait que l’entrevoir : c’est le Tarantasse qui va nous montrer dans sa plénitude cette face nouvelle de son talent; c’est dans la voie où il est entré par ce curieux livre que M. Solohoupe est appelé, nous le croyons, à recueillir les succès les plus durables.


III.

Les préoccupations qui ont dominé la littérature moscovite durant ces dernières années nous sont connues; elles sont toutes concentrées sur un objet unique, la Russie même. Il était difficile que M. Solohoupe échappât à l’influence du mouvement qui se poursuivait autour de lui, et déjà l’étude des mœurs russes lui avait inspiré quelques-unes des meilleures pages de son premier recueil. M. Solohoupe n’était pas homme toutefois à céder au mouvement général sans l’analyser d’abord, et sans se rendre compte des courans bons ou mauvais qu’un observateur pénétrant pouvait y démêler. Si le but était un, si tous les efforts tendaient à célébrer, à glorifier la Russie, il était aisé cependant d’apercevoir sous cette apparente unité d’inspiration d’assez graves, d’assez notables diversités, et comme deux Russies en présence, l’une routinière et l’autre novatrice, l’une attachée à son passé, l’autre trop impatiente de l’avenir, la première plus fidèle à la tradition nationale, la seconde plus accessible aux influences européennes. Fallait-il laisser se perpétuer cette opposition, et ne valait-il pas mieux restituer à chacune de ces tendances son rôle distinct, au lieu de les laisser se heurter sur le même terrain? Le culte des souvenirs et le culte des réformes pouvaient s’accorder, à la condition d’agir chacun dans sa sphère, celui-ci pour développer l’activité industrielle et la prospérité matérielle du pays, celui-là pour maintenir l’originalité des mœurs et la fermeté du patriotisme. Afin de montrer la nécessité de ce partage d’influences entre les deux génies qui semblaient se disputer la Russie, il n’était besoin que d’appeler l’attention publique sur les dangers, sur les inconvéniens de leur antagonisme. C’est ce que fit M. Solohoupe sous la forme qui convenait le mieux à son talent, celle du récit satirique. Il opposa l’un à l’autre les deux génies de la vieille et de la nouvelle Russie, en se laissant aller, avec une complaisance qu’il est permis de trouver naturelle, à certaines préférences pour le