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— Eh bien ! c’est convenu, dit la jeune fille, qui se mit à rire pour cacher son émotion, d’autant que vous ne lisez pas encore assez couramment pour que je cesse mes leçons.

— Ce n’est pas du moins faute de bonne volonté, reprit le traîneur de grèves, qui tira de la poche de sa veste un Paroissien dont la reliure éraillée et les tranches déteintes prouvaient le long usage. — Bien que ce soit un saint livre et celui dont se servait ma mère (que Dieu lui pardonne !), je n’y avais guère pensé jusqu’au jour où vous l’avez pris pour me faire lire ; mais depuis il ne me quitte plus, et vous pouvez voir que j’ai marqué chaque leçon.

À ces mots, il prit le vieux volume et montra, entre presque toutes ses pages, des brins d’herbe, des feuilles ou des fleurs desséchées. Annette sourit, — Voyons alors si vous avez étudié, pauvre Loïs, dit-elle.

Elle fit signe à Marzou. qui approcha son escabeau, et se plaça à ses pieds dans l’attitude modeste et docile d’un enfant. Le livre, posé sur les genoux de la jeune fille, s’ouvrit, vers le milieu, à la page marquée par une image coloriée qui représentait la Vierge mystique avec les sept épées dans le cœur. Soit intention, soit hasard, c’était la messe du mariage. Annette posa l’extrémité de son fuseau sur le livre pour indiquer la ligne, et Marzou lut avec beaucoup d’hésitation :

« Dieu ! tournez un œil favorable sur votre servante. Près d’être unie à son époux, elle implore votre protection. Faites que son joug soit un joug de paix et d’amour. Qu’elle soit aimable comme Rachel, sage comme Rébecca, fidèle comme Sarah… Seigneur, vous nous avez fait miséricorde, vous avez pris en pitié deux orphelins, afin qu’ils vous bénissent de plus en plus. »

Ici le jeune garçon releva les yeux vers Annette :

— Ce n’est pas moi qui parle, c’est le livre, dit-il avec un sourire ; mais voyez vous-même, Niette, si la Providence n’a pas l’air de nous donner un encouragement.

— Taisez-vous, Loïs, répliqua la jeune fille en secouant la tête, la Providence ne se met point en peine pour si peu, et notre sort dépend de gens qui n’ont pas leur cœur tourné du même côté que le nôtre.

— Je le sais, je le sais, mon Dieu ! reprit Marzou : votre père (que Dieu lui soit miséricordieux !) m’a toujours haï comme si j’avais fait tort à sa renommée ou à son héritage ; mais on ne peut pas garder éternellement sa colère contre un garçon sans malice, qui ne demande qu’à vous aimer. Aussi, pourvu que vous me conserviez une place dans votre préférence, Niette, j’aurai bon espoir. Dieu amène chaque chose en son temps, et c’est à nous d’avoir patience : les oiseaux attendent bien la saison des nids.

— Oui, dit sourdement la paysanne en arrachant les brins de lin de sa quenouille ; mais chez eux il n’y a pas de grand Luc !