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En parlant ainsi, il avait conduit la jeune paysanne vers une tonnelle qui occupait l’angle du jardin ; il s’y assit au coin le plus sombre et montra à sa pénitente un escabeau de bois sur lequel elle s’agenouilla. Quelques oiseaux, réveillés par cette visite inattendue, s’agitèrent en soupirant dans les feuillées qui recouvraient la tonnelle ; puis tout se tut, et l’on n’entendit plus qu’un murmure lointain apporté par la rafale, qui mêlait ses senteurs marines aux parfums du genêt d’Espagne et de la clématite.

Annette commença alors à voix basse, sous forme de confession, le récit de ce qui s’était passé depuis le matin. Une fois la première honte surmontée, elle avoua tout sans réserve et sans rien omettre, car, à son insu, elle trouvait une joie anxieuse à parler de cet amour auquel il faudrait sans doute renoncer. Le vieux prêtre lui laissa cette dernière et cruelle jouissance ; il l’écouta patiemment jusqu’à ce qu’elle eût épuisé tous les aveux et se fut arrêtée, gagnée par les larmes, il prit alors la parole, non sur le ton du reproche, mais avec une douceur compatissante ; il lui fit comprendre les dangers d’un attachement sans issue, que réprouvaient en même temps l’opinion commune et la volonté de son père ; il lui prouva enfin sans peine l’urgence d’une séparation dont elle avait elle-même pressenti la nécessité pour sa propre réputation et pour la sûreté de Marzou. Restait la difficulté de faire partager ce sentiment à Marzou lui-même. M. Lefort s’en chargea ; il loua la jeune fille de sa démarche, l’engagea à supporter vaillamment l’épreuve, et la renvoya, sinon guérie, au moins fortifiée.

Le lendemain, qui était un dimanche, elle attendit son père avec un mélange de terreur et d’impatience ; mais l’heure de la messe arriva sans que le patron ni Lubert fussent de retour. Annette se rendit à l’église le cœur palpitant d’angoisse. La foule endimanchée arrivait de tous les hameaux voisins, et l’on ne s’entretenait que de l’aventure du Castelli. Elle ne put se dérober à la curiosité générale qu’en se réfugiant près de l’autel. Là, son premier regard rencontra le traîneur de grèves. Annette ignorait le résultat de son entrevue avec M. Lefort, et n’osa interroger ses traits. Agenouillée devant le chœur, elle demeura les yeux fixés sur son livre, s’efforçant de retenir sa pensée dans la prière et !a sentant toujours lui échapper. Ce fut seulement au milieu de l’office, quand M. Lefort monta en chaire, quelle osa relever la tête. Le prédicateur avait pris pour texte ces mots de l’Écriture : « Heureux ceux qui pleurent ! » et, bien que son sermon fût aussi simple et aussi court que d’habitude, la jeune fille ne put l’entendre sans être émue jusqu’au fond de l’ame. On eût dit que les encouragemens du vieux prêtre s’adressaient particulièrement à elle et à Louis ; mais, lorsqu’au moment de quitter la chaire, il s’arrêta un instant et recommanda aux prières de ses paroissiens un des leurs qui allait partir dans quelques