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Dans les fêtes militaires qui succèdent à ces combats, les meddah, trouvères religieux, jouent toujours un grand rôle. L’un des petits poèmes que chantent ces bardes a été composé par l’émir Abd-el-Kader lui-même.


GLOIRE A DIEU SEUL.

O toi qui prends la défense du hader[1], — et qui condamnes l’amour du bedoui[2] pour ses horizons sans limites;

Est-ce la légèreté que tu reproches à nos tentes? — N’as-tu d’éloges que pour des maisons de pierre et de boue?

Si tu savais les secrets du désert, tu penserais comme moi; — mais tu ignores, et l’ignorance est la mère du mal.

Si tu t’étais éveillé au milieu du Sahara, — si tes pieds avaient foulé ce tapis de sable — parsemé de ses fleurs semblables à des perles, — tu aurais admiré nos plantes, — l’étrange variété de leurs teintes, — leur grâce, leur parfum délicieux.

Tu aurais respiré ce souffle embaumé qui double la vie, car il n’a point passé sur l’impureté des villes.

Si, sortant d’une nuit splendide, — rafraîchie par une abondante rosée, — du haut d’un merkeb[3], — tu avais étendu tes regards autour de toi.

Tu aurais vu au loin et de toutes parts des troupes d’animaux sauvages — broutant les broussailles parfumées.

À cette heure, tout chagrin eût fui devant toi; — une joie abondante eût rempli ton ame.

Quel charme dans nos chasses, au lever du soleil! — Par nous, chaque jour apporte l’effroi à l’animal sauvage.

Et le jour du rahil[4], quand nos rouges haouadedj[5] sont sanglés sur les chameaux, — tu dirais un champ d’anémones s’animant, sous la pluie, de leurs plus riches couleurs.

Sur nos haouadedj reposent des vierges ; — leurs taka[6] sont fermées par des yeux de houris.

Les guides des montures font entendre leurs chants aigus; — le timbre de leurs voix trouve la porte de l’ame.

Nous, rapides comme l’air, sur nos coursiers généreux — (les chelils[7] flottant sur leur croupe), — nous poursuivons le houach[8], — nous atteignons le ghézal (gazelle), qui se croit loin de nous. — Il n’échappe point à nos chevaux entraînés et aux flancs amaigris.

  1. Le hader, habitant des villes.
  2. Le bedoui, habitant des lieux sauvages du Sahara.
  3. Dans le Sahara, on donne ce nom aux monticules dont l’aspect rappelle la forme d’un navire.
  4. Rahil, migration, déplacement des nomades.
  5. Haouadedj, litières rouges des chameaux.
  6. Taka, fenêtres, œils de bœuf des litières.
  7. Chelils, voile flottant sur la croupe des chevaux.
  8. Le houach, sorte de bison ou bœuf sauvage.