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plus universel qu’il y ait à présent sur toute la surface du pays. Cet immense désir d’en finir avec l’agitation et l’inquiétude a grossi d’heure en heure dans toutes les âmes : il les a submergées comme une marée montante ; elles ont perdu dans ce naufrage le ressort nécessaire pour la vie publique. Nous avons nous-mêmes, à différentes fois, tristement signalé cette détente progressive qui s’opérait dans l’esprit de la France ; nous avons dit les bonnes et les mauvaises raisons qui justifiaient ou qui couvraient cette cruelle défaillance d’un peuple chez qui l’on venait pourtant de multiplier à l’infini le nombre des citoyens. Et maintenant, en face de ceux dont nous parlions l’autre jour, en face des adeptes et des séides que nous entendons nier du droit suprême de la souveraineté révolutionnaire tous les gouvernemens qui ne sont pas à leur convenance individuelle, il n’y a plus que la masse exaspérée de ceux qui, tremblans de peur ou de colère, ne demandent qu’à s’incliner devant un gouvernement quelconque, pour ne pas avoir à faire eux-mêmes un gouvernement durable, ceux, en un mot, qui offrent à tout prix leur démission de citoyens, pour qu’on les débarrasse du fardeau de la responsabilité civique. Il y a les classes laborieuses qui reprochent à la politique d’étouffer le travail, il y a les classes bourgeoises qui poussent le repentir d’avoir été quelque chose dans l’état jusqu’à solliciter la grâce de n’être plus rien ; il y a même une certaine aristocratie qui n’a jamais compris sa grandeur de la façon dont l’aristocratie anglaise comprend la sienne, et qui accueille toujours trop volontiers la diminution des libertés publiques, comme si c’était l’accroissement de sa fortune particulière. Tous ensemble ne font qu’un même concert pour accabler le gouvernement représentatif et lui renvoyer le tort de leur détresse avec l’outrage de leurs malédictions. Ce sont les bavards qui nous ont perdus ! s’écrient tous ces parleurs qui ont tant parlé, et chacun, dans son langage, critique à fond le droit des assemblées délibérantes, jette par-dessus le bord le régime libéral et proclame l’excellence d’un pouvoir sans contrôle et sans contrepoids. Nous retombons ainsi de plus belle sous la loi fatale qui a trop dominé jusqu’ici les destinées de la France. Le pouvoir exécutif n’a presque jamais eu chez nous devant lui que des émeutiers ou des adorateurs ; on en est à baiser les pieds du prince aussitôt qu’on n’en est plus à le fustiger : la servilité après la révolte ; un excès amène l’autre, et c’est cette lamentable vie entrecoupée d’excès si opposés qui nous conduit au néant. Ou la France périra, ou il faudra qu’à la longue elle erre acquis enfin la science de discuter sans s’insurger et de transiger sans s’avilir. C’est pourquoi, même sous le coup de ce débordement insensé qui le menace, nous garderons, quant à nous, au principe de l’institution parlementaire, notre foi la plus vive et la plus ferme. Nous voyons bien, à travers le flot d’imprécations qui roule sur le parlement, qu’il y a dans sa disgrâce et de la faute des circonstances et de la faute des hommes ; nous ne voyons pas à l’institution elle-même de vice radical qui la condamne. Nous faisons la part des circonstances, celle des hommes, et celle-ci, nous l’avouerons, nous la faisons souvent, dans notre for intérieur, plus sévère que nous ne le voulons dire ; mais, cette part faite, le régime de discussion, pour appeler la liberté par son nom le plus simple et le plus essentiel, le régime de discussion demeure encore, à nos yeux, l’unique ressource et l’unique salut des sociétés modernes. Nous le croyons très capable de survivre à toutes les atteintes, à celles de ses