Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/977

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lier la défaite, et les choses sont trop avancées pour qu’on ait à l’autre bord la modestie de cacher le succès. Il faut accepter le résultat tel que l’a voulu la fortune, et s’arranger en conséquence pour que ce résultat ne soit point aussi nuisible qu’il pourrait l’être à l’une comme à l’autre des deux parties engagées. S’il est encore une chance de remédier à cette défaite doublement ruineuse, c’est de bien voir sur quoi elle porte, et de saisir au juste l’endroit où elle a frappé. L’avantage décisif du président sur la majorité, sur le parlement lui-même, ce n’est pas d’avoir échappé à la proposition des questeurs, ce ne sera même pas tant, s’il y réussit, d’empêcher la discussion et le vote d’une loi pénale qui définisse sa responsabilité et celle de ses ministres : c’est d’avoir démoli par une simple indication de son bon plaisir tout l’édifice de la loi du 31 mai, qui était le point de repère, la citadelle de la majorité. La loi du 31 mai avait été adoptée par 433 voix contre 231 ; ce vote constituait, au milieu de l’année dernière, une majorité solide et compacte de 192 voix. Déjà, l’autre jour, lorsqu’il s’était agi de prononcer sur la loi nouvelle, dans laquelle le nouveau ministère, organe de la présidence, demandait, comme pour lever son tribut de joyeux avènement, l’abrogation radicale de la loi du 31 mai, déjà la majorité s’était trouvée réduite à 333 contre 347, pour défendre son principe et son œuvre. On pouvait cependant encore expliquer par des motifs plus ou moins spécieux ce soudain abaissement du chiffre primitif des hommes de la majorité, sans qu’on fût obligé d’admettre que les défectionnaires eussent dès-lors renié le drapeau qui les avait ralliés ; on pouvait supposer, nous aimions à croire, et nous nous sommes empressés de dire que ce n’était pas devant le maintien du principe qu’on avait reculé en si grand nombre, que c’était devant la brusquerie d’un procédé trop désobligeant pour le président de la république représenté par son ministère, nous voulions penser que ce n’était point la loi du 31 mai qu’on abandonnait, que les explications et les concessions de M. de Vatimesnil lui conserveraient dans le véritable débat, aussitôt qu’il serait introduit, la plupart de ses anciens adhérens, que beaucoup enfin s’étaient effarouchés, à la seule crainte de passer devant le pays pour des tracassiers et des querelleurs, en rejetant dès la première lecture, par une sorte de question préalable, une proposition émanée du gouvernement. Ces illusions bénévoles ne sont plus de mise à l’heure où nous écrivons ; le vote d’hier a tout éclairci et tout tranché.

Nous avons assez expliqué la haute importance politique de la loi du 31 mai ; maintenant qu’elle est en morceaux, dilapidée, anéantie, on comprendra peut-être plus tôt qu’il ne serait à souhaiter l’intérêt qu’on avait à la conserver intacte. Elle ne l’était déjà plus d’ailleurs, on l’avait laissé ébrécher aux points les plus essentiels, on avait dépassé à plusieurs reprises les concessions de M. de Vatimesnil, lorsqu’hier est arrivé le dernier coup. Cette loi à laquelle on avait été le plus qu’on avait pu, le sens de son origine, qu’on avait rendue aussi petite qu’il fallait, afin qu’elle n’eût qu’une apparence de vie ; cette loi amoindrie et insignifiante, qui n’avait plus contre elle que d’être une dérivation lointaine, un pâle reflet de la loi du 31 mai, pour cela même, et pour cela seul, elle n’a été votée qu’à la faveur d’une voix : 321 contre 320. Comment donc s’est réalisé ce grand déplacement ? Qu’est-ce que sont devenues les 192 voix de la majorité du 31 mai 1850 ? Nous nions absolument que ce soient les légiti-