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blait croire à toute épreuve, la conscience hautement avouée d’une sorte d’autocratie morale et sociale qui n’avait plus à compter avec aucune résistance. Encore une fois, est-ce donc la dispersion de la majorité qui peut justifier tant d’exaltation, et l’autocratie est-elle en soi aussi absolue qu’on la rêve ? Comment le serait-elle, quand les tacticiens de la montagne ont si bien réussi jusqu’à présent à prendre en main la balance des deux intérêts qui luttent l’un contre l’autre, quand ils font à volonté pencher la balance du côté qui leur plaît, — du côté du président et au détriment de la majorité dans la loi des questeurs et dans la loi électorale, — du côté de l’assemblée, nous assurent-ils, et au détriment de la présidence dans la future loi de responsabilité ? De leur propre aveu, de l’aveu plus vaniteux encore que téméraire échappé à leur fausse gloire, les montagnards s’estiment les maîtres de la situation et se flattent d’user dans de mutuelles revanches les deux pouvoirs conservateurs qui nous ont sauvés de leur joug. C’est au président de la république qu’il convient maintenant d’aviser. Puisse-t-il voir le péril qui est à côté de lui dans cette heure même où sa fortune semble l’inviter à lever la tête plus haut que jamais ! Que le président n’en doute pas : c’est l’égarer pour son malheur que de lui persuader qu’il gagnera quoi que ce soit à effacer toute autorité voisine de la sienne, dût-il employer dans cette destruction de pareils auxiliaires, et qu’il sera plus grand le jour où il demeurera tout seul vis-à-vis d’eux, fût-ce avec l’idée de les traiter le lendemain comme d’irrémissibles ennemis. D’autre part, si la majorité défaite hier retrouve encore un peu de vie, qu’elle s’emploie jusqu’au bout non plus à chercher des représailles pour lesquelles la force lui manque, mais à empêcher autant qu’il dépendra d’elle les fatales conséquences soit d’une intimité trop étroite, soit d’une lutte trop personnelle entre ces deux principes dont on ne saurait bien dire s’ils sont l’un à l’autre ou hostiles ou alliés, entre l’idée impérialiste et l’idée radicale ! Dans son meilleur temps, l’assemblée n’aura peut-être pas rendu de plus grand service au pays.

Pendant que nous nous consumons dans ces démêlés dont l’issue échappe à tous les regards, les états européens s’appliquent à se préserver du mieux qu’ils peuvent des difficultés de l’avenir. Nous craignons que le gouvernement prussien, dont les chambres viennent de se rouvrir, ne suive point la voie la plus sûre, et nous ne comprenons pas comment il réussira jamais à combiner ses états féodaux des provinces et des cercles ou du moins l’esprit qui a rappelé ces institutions vieillies avec l’esprit moderne qui préside dans le parlement central. Les jeunes royaumes constitutionnels, la Belgique, le Piémont, doivent se féliciter d’avoir accepté plus sincèrement le régime sous lequel ils vivent.

Le parlement sarde est maintenant en pleine session. Si nouveaux que soient les Piémontais dans l’usage du régime constitutionnel, ils ont su affranchir leur tribune des lenteurs qu’entraînait toujours chez nous le débat de l’adresse. Ils arrivent tout de suite au fait, à la manière anglaise, comme il convient à leur esprit pratique, toujours mieux disposé pour l’action que pour la parole. Malheureusement, cette expédition sommaire n’arrange pas une demi-douzaine d’avocats plus ou moins radicaux, qui, ne sachant plus où placer leur éloquence, se rabattent alors sur le droit d’interpellation. Ils en usent et en abusent, témoin M. Broflerio, le moins emprunté de ces tribuns, toujours un peu nos plagiaires, et le seul, à vrai dire, dont la verve excentrique et amusante ait