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la journée à remuer les bras dans le vide pourrait se qualifier de travailleur, se donner comme un membre utile de la société, le riche qui ferait creuser des fossés le lundi pour les faire combler le mardi et les faire ouvrir de nouveau le mercredi, pourrait se flatter de rendre à la patrie autant des services que l’habile manufacturier de Lyon ou de Mulhouse. Si dans le travail on ne devait envisager que l’exercice musculaire ou intellectuel sans le résultat, un sûr moyen de se créer des titres à la reconnaissance publique serait de susciter des obstacles artificiels à une production quelconque ou à la satisfaction d’un quelconque de nos besoins, puisque, pour surmonter ces obstacles, il faudrait une nouvelle proportion de travail. Il y aurait lieu, pour les pouvoirs de l’état, de prendre en grande considération la pétition comique que, dans ses inimitables Sophismes, Bastiat ; lorsqu’il veut réfuter le système protecteur par la réduction à l’absurde, prête aux fabricans de chandelles, bougies, lampes, aux producteurs de suif ; résine, alcool, et généralement de tout ce qui concerne l’éclairage ; contre la lumière du soleil qui nous éclaire gratis. Il est certain en effet que si, comme il s’amuse à l’imaginer, on faisait une loi qui ordonnât la ferme fermeture de toutes, fenêtres, lucarnes, contrevents, volets, vasistas, œils-de-boeuf, en un mot de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles le soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, il faudrait plus de suif, plus d’huile, plus de résine. Ce serait une immense quantité de travail qu’on aurait rendue indispensable, et s’il est admis que le travail, quel qu’il soit ou quelle qu’en soit la cause, est une fortune, on aurait enrichi la nation.

Du point de vue auquel nous avons transporté le lecteur, il est aisé de reconnaître que le système protecteur n’est pas fondé à prétendre qu’il fait travailler mieux ; on peut même voir qu’il ne l’est guère davantage à soutenir qu’il lui appartient d’occuper plus de bras. Si demain, en Angleterre, les ultra-tories rentrant au pouvoir, dans la recrudescence de leur zèle protectioniste, faisaient passer une loi qui interdît absolument l’entrée du vin étranger, il est vraisemblable qu’on planterait des vignes dans des serres pour se procurer, tant bien que mal, un peu de cette savoureuse liqueur qui, depuis Noé, est en faveur parmi les hommes. On ferait ainsi en Angleterre du vin qui serait horriblement cher. Je laisse de côté la qualité du breuvage. Pour en avoir seulement cent mille hectolitres, il faudrait une prodigieuse quantité de jardiniers, sans compter les maçons et les fumistes qui construiraient et entretiendraient les serres. Le parlement anglais se trouverait avoir ainsi provoqué beaucoup de travail. Il aurait cependant fait une très sotte loi. Il aurait appauvri la nation. L’Angleterre, alors pour se procurer cent mille hectolitres de vin, occuperait une masse de capitaux et de bras qui, employés à retirer de la houille, à filer du