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qu’elles rentrent après avoir passé la frontière. Ce règlement odieux n’existe pas seulement sur le papier, il est pratiqué, et les sentimens les plus délicats des personnes que nous chérissons le plus sont ainsi à la disposition d’agens subalternes du fisc. Quand un système fait aussi bon marché de ce qu’il y a de plus pur dans la nature humaine, il ne faut pas s’attendre, à ce qu’il recule devant quoi que ce soit. Ainsi, dans le système protecteur, la dénonciation soldée est l’objet d’une sollicitude particulière ; c’est une industrie particulièrement choyée[1] flatteuse compagnie pour les industries qui jouissent de la protection !

Quoi ! s’écriera-t-on, vous voulez la mort de tant de belles industries qui font la gloire du pays ! — Je ne connais d’industrie faisant la gloire du pays que celle qui fournit ses produits à meilleur marché que l’étranger. L’industrie est glorieuse à mesure qu’elle résout le problème de la vie à bon marché, et pas autrement. Quant à la mort des industries protégées, pour la plupart, pour toutes celles qui comptent, elle n’est point à craindre. Sous l’aiguillon de la nécessité, elles feront un effort de plus, et elles vivront, parce que, s’inspirant de la situation, elles atteindront le niveau de l’industrie étrangère. S’il en est qui soient retardées, presque, toujours c’est le protectionisme qui en est la cause, parce qu’il les a soustraites à l’obligation pressante de se perfectionner. La Belgique, il y a trente-cinq ans, faisait partie de la France, et ses ateliers ne surpassaient pas les nôtres. Si aujourd’hui elle est en avant à quelques égards, si elle a, par exemple, le fer et les machines à plus bas prix, c’est que, depuis la séparation, elle a eu un tarif plus libéral ou moins brutal que le nôtre. De même pour la Suisse, qui ne se protégeait pas et qui a fait des pas de géant. Chez quelque peuple que ce soit, toutes les fois qu’on parle de modérer la prime que les industries privilégiées se font payer par le public elles poussent des gémissemens à fendre l’âme, elles annoncent leur fin prochaine. Que le législateur aille droit son chemin et accomplisse la réforme réclamée par l’intérêt public, et il est probable que bientôt vous verrez plus robustes que jamais ces industries qui se disaient perdues. L’expérience en a été faite vingt fois. En Prusse et dans d’autres états allemands, quand le Zollverein soumit les fabriques de tissus de coton et de laine à la concurrence de celles de la Saxe, es lamentations s’élevèrent parmi les fabricans : c’était, disaient-ils, leur arrêt de mort. Deux ou trois ans après ils prospéraient. En Angleterre, que n’a-t-on as dit toutes les fois qu’une loi a réduit les droits sur les soieries françaises, et à chaque fois, au contraire,

  1. Un morceau curieux a été publié sur ce sujet et sur les nombreux abus qui s’y rattachent par un écrivain marseillais sous ce titre : Une Industrie protégée par la douane.