Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’escalade. Le bâtiment massif était orné à des distances très rapprochées d’almenas (espèce de créneaux), qui indiquaient la noblesse du propriétaire. Chaque soldat était muni de son lazo, dont un anneau de fer servait à former le nœud coulant. En une minute, à chacun des créneaux fut suspendue une corde flottante dont l’extrémité entourait la saillie de pierre. Avant que le signal fût donné pour commencer l’escalade, nous convînmes, Garduño et moi, que les soldats du colonel n’attaqueraient la garnison ennemie qu’au troisième coup de canon qu’ils entendraient ; trois boulets nous paraissaient plus que suffsans pour jeter à bas la porte de la ferme. Les conventions faites, le colonel, avec son calme ordinaire, saisit le premier la corde flottante qui devait lui servir d’échelle, et la mit dans la main du prisonnier en lui ordonnant de le précéder. Quand l’Espagnol se fut élevé au-dessus du sol de quelques pieds, don Garduño mit son poignard entre ses dents et s’enleva de terre à son tour. Les guerrilleros firent comme lui, et bientôt nous vîmes cinquante hommes, s’aidant des mains le long de la corde et des pieds contre la muraille, flotter au-dessus du précipice comme autant de démons, qui semblaient sortir de l’abîme.

Quoique périlleuse en elle-même, car un étourdissement subit ou la rupture d’un des lazos pouvait lancer un homme dans l’éternité, cette ascension était plus facile encore que l’attaque dont je m’étais chargé. La sentinelle postée dans la cage du clocher, eût-elle fidèlement veillé, ne pouvait apercevoir les assaillans cachés par le mur ; mais le poste que nous avions choisi offrait un autre genre de danger : nous allions bientôt quitter le couvert des arbres qui dissimulait notre présence aux yeux des factionnaires, pour entrer en rase campagne embarrassés d’un canon qu’il fallait traîner à force de bras. Heureusement cette marche se fit sans accident, et, quand nous vîmes le dernier des nôtres prendre pied sur la terrasse de l’hacienda, nous songeâmes, Valdivia et moi, à remplir le rôle que nous nous étions réservé.

Avant de nous démasquer, je commençai par donner l’ordre de charger le canon. Ceux qui l’avaient traîné y attelèrent de nouveau leurs chevaux, et nous avançâmes ; mais à peine avions-nous fait quelques pas, qu’une des sentinelles, postée sur l’un des hangars intérieurs, donna l’alarme, et déchargea sa carabine contre nous. La balle n’atteignit personne par bonheur, et nous redoublâmes d’efforts pour traîner le canon démonté jusqu’à l’endroit où nous supposions qu’était la porte d’entrée que nous voulions enfoncer. D’autres coups de fusil retentirent bientôt à nos oreilles, et nous entendîmes dans les cours de l’hacienda les tambours battre et les clairons résonner. Il n’y avait plus pour nous d’espoir de surprendre la garnison, et je fis passer de rang en rang l’ordre à mes cavaliers de pousser des cris aigus en changeant à chaque cri l’intonation de leur voix. Grace à cette ruse, cinq