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La population du Brésil, — si même l’on y comprend les étrangers, les esclaves et les Indiens, — ne s’élève qu’à six millions d’ames disséminées sur une superficie de cent vingt-neuf mille deux cent quatre-vingt-quinze mètre géographiques carrés. Le portugais est la seule langue parlée d’une frontière à l’autre de l’empire. Cependant cette communauté de langage n’efface pas les différences notables que l’on remarque entre les divers élémens de la société, brésilienne. Au sud de Rio de Janeiro, on rencontre dans les provinces de Rio- Grande et de Saint-Paul des populations qui ont quelque peu hérité de l’esprit belliqueux des premiers colons européens. Ces populations passent pour les plus remuantes du Brésil. Au nord de la capitale, les habitans de la province de Minas rappellent les races courageuses de Rio-Grande ; énergiques et robustes, ils se consacrent à l’élève du bétail. Les Pernambucains sont d’humeur très mobile, doux, obligeans et serviables, mais susceptibles à l’excès sur point d’honneur, l’esprit révolutionnaire les domine et les égare trop souvent. Chez les peuples de Bahia et de Maranham, plus voisins de la ligne équinoxiale, l’indolence du créole est compensée par d’heureuses facultés d’application qu’attestent des progrès lents, mais sûrs, dans l’ordre des travaux intellectuels. À Rio, toutes les nuances se mêlent, se confondent un peu, et le caractère national y prévaut sur les différences provinciales. On est frappé d’ailleurs, quand on embrasse d’un premier coup d’œil l’ensemble des populations du Brésil, d’un trait commun aux habitans de chaque province, d’un sentiment que rien encore n’a altéré parmi eux : c’est le sentiment religieux. Il serait difficile de rencontrer un seul Brésilien qui mît en doute l’existence de Dieu et l’immortalité de l’ame. Ce sentiment n’a rien de bien élevé sans doute ; il est aisé d’apercevoir dans les cérémonies où il se révèle quelque chose de mondain et de factice ; mais il n’en est pas moins sincère, et il faut le noter comme un de ces caractères saillans du génie national dont le voyageur, à ses premiers pas en pays étranger, est forcé de tenir compte.

C’est à Rio de Janeiro qu’on peut surtout observer les Brésiliens dans leur vie privée comme dans leur vie publique. Rio de Janeiro compte aujourd’hui près de deux cent cinquante mille habitans. À l’extérieur, la capitale du Brésil est une ville d’assez majestueuse apparence, bien que d’architecture un peu lourde. Les églises, en assez grand nombre, n’affectent pas, comme la plupart de celles d’Amérique, les gracieuses formes de la renaissance c’est le style borrominesque, — c’est-à-dire le style des plus mauvais temps de la décadence italienne, — qui les marque presque toutes de sa froide et prétentieuse empreinte. En somme, les édifices de Rio n’offrent, au point de vue de l’art, qu’un médiocre intérêt. Quant aux environs de la ville, à part quelques sites pittoresques et les gracieux paysages des îles de la baie, ce n’est point là que se révèle dans toute sa grandeur la nature brésilienne. Après quelques jours d’excursions, l’étranger en sait autant sur les curiosités de la capitale de l’empire que les habitans eux-mêmes, et son attention se détourne alors bien vite des objets extérieurs pour se reporter sur la population. Une société qui se forme à la vie publique, qui travaille courageusement à concilier ses anciennes mœurs avec des institutions nouvelles ; c’est toujours un curieux spectacle, mais qui sur ce sol vierge emprunte comme un prestige de plus au charme singulier des lieux et du climat.