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au palais sans leur rien répondre, sans même les écouter. « La pluie et le vent, disait-il à demi-voix et, comme pour se convaincre lui-même, la pluie et le vent obéissent au maître du ciel et non aux hommes ! Ces mandarins que j’ai comblés d’honneurs, qui se sont enrichis à mon service, ils me trahissent tous ; ils une tournent le dos pour courir après un fou ! » En effet, les officiers et les grands du royaume, dans l’eau jusqu’aux genoux, entouraient le vieux sorcier et se prosternaient devant lui ; dans leur empresseraient à sauver le magicien, ils ne s’apercevraient même qu’ils crottaient affreusement leurs tuniques de soie. Aussi, quand ils reparurent en la présence du prince, pour lui demander encore la grace du docteur. Sun-tse, ulcéré de leur conduite, les repoussa durement, cinq minutes après, la tête du magicien roulait sous le sabre du bourreau. Au moment où tombait cette tête couverte de cheveux blancs, une vapeur noire, qui représentait assez distinctement une forme humaine, s’éleva doucement dan l’air et s’envola vers l’orient. Sun-tsé la vit de ses propres yeux ; mais, sans prendre garde à la muette admiration de la foule, il fit suspendre au milieu du marché le cadavre décapité, avec cette inscription : — Mis à mort comme magicien et imposteur.

Pendant toute la nuit, le vent souffla avec violence ; le tonnerre gronda, la pluie tombait toujours à torrens. Au matin, on chercha le cadavre du magicien décapité, il avait disparu. Sun-tsé accusa les gardes de l’avoir livré aux mandarins qui voulaient l’ensevelir. « Le peuple va croire qu’il est ressuscité, se disait le prince avec inquiétude ; je veux savoir ce qu’on a fait de son corps. » Il allait sortir, quand il voit devant la grande salle de son palais le magicien en personne qui venait droit à lui, sans toucher la terre, et comme porté par une sombre nuée. Le prince s’arrête et tire son cimeterre pour frapper le fantôme ; tout à coup ses yeux se voilent, et il tombe évanoui. Il se passa plus d’une demi-heure avant que Sun-tsé reprît ses sens. On l’avait transporté dans sa chambre à coucher. Quand il revint à lui, sa mère était à ses côtés ; il lui expliqua la cause de son évanouissement.

— Mon fils, répondit elle, en vous obstinant à lutter contre un immortel, vous vous êtes attiré de grands maux !

— Dès ma plus tendre enfance, dit Sun-tsé avec un sourire, j’ai suivi mon père dans ses expéditions, j’ai abattu des hommes par milliers, comme on coupe le chanvre, des bons et des mauvais : m’en est-il rien arrivé de fâcheux ? Aujourd’hui, pour délivrer mon pays d’une dangereuse influence, j’ai décapité le sorcier : est-ce donc là ce qui pourrait me causer des inquiétudes ?

— Vous avez irrité les esprits, mon fils ; il vous faut faire de bonnes œuvres pour apaiser leur colère.