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escadrons de hussards hongrois coururent dans la plaine ; les cuirassiers de Hardegg et de Wallmoden, conduits par le ban, fondirent au galop sur eux. Les hussards se défendirent vaillamment ; mais, ébranlés par le choc, abandonnés par l’infanterie, ils se sauvèrent. Les bataillons de honveds qui tenaient encore furent enfoncés par la cavalerie ; plus de deux mille hommes furent coupés, entourés et faits prisonniers. Le ban était heureux et remerciait les troupes : la fortune avait secondé son audace ; c’était avec les deux seules brigades Ottinger et Gramont (cinq mille hommes) qu’il venait de mettre en déroute tout le corps de Perezel. Le général Hartlieb n’arriva qu’après le combat, vers les trois heures, avec les trois autres brigades de notre corps. Les débris du corps de Perezel se retirèrent jusqu’à Sthuhlweissenbourg, et Georgey, apprenant sa défaite, renonça aussitôt à livrer bataille sous les murs d’Ofen. L’effroi se répandit dans Pesth ; les membres du gouvernement révolutionnaire et la diète abandonnèrent précipitamment la ville et se retirèrent à Debreczin, au-delà de la Theiss.

Lorsque j’eus vu les cuirassiers emmener les canons que nous avions pris et la cavalerie ennemie se sauver à travers la plaine, j’allai rejoindre le ban ; il me fit conduire en arrière, un chirurgien sonda mes blessures ; je lui ordonnai de me dire sans crainte la vérité ; il me jura que dans un mois je serais sur pied. Je lui serrai la main avec reconnaissance. Je savais que le ban allait demander pour moi à l’empereur quelque distinction, j’étais heureux. Les blessés arrivaient peu à peu ; presque tous avaient de larges entailles à la tête ; quelques-uns avaient les artères du cou ou des tempes coupées, et leur sang jaillissait ; d’autres avaient le nez, les lèvres ou le menton lacérés : les chirurgiens, avec de grandes aiguilles, recousaient toutes ces chairs en lambeaux. Les officiers et les soldats hongrois blessés arrivaient aussi par petites bandes ; les uns restaient debout, et, les bras croisés, nous regardaient d’un air farouche ; d’autres, couchés à terre, gémissaient et disaient qu’ils allaient mourir. — L’un d’eux surtout, le premier lieutenant Tissa, que j’ai revu depuis à Pesth, faisait peine à voir il était étendu sur le dos ; ses mains, crispées par la douleur, arrachaient autour de lui l’herbe mouillée de sang ; il enfonçait ses ongles dans la terre, puis il restait immobile ; on l’eût cru mort, s’il ne se fût soulevé sur le coude pour rejeter le sang qui lui coulait dans la poitrine.

Le général Hartlieb, qui n’était arrivé, comme je l’ai dit, avec les trois autres brigades et le reste de l’artillerie que vers trois heures, fit mettre les blessés sur les chariots, et nous prîmes le chemin de Moor. La route et les champs étaient, dans plusieurs endroits, couverts de soldats morts. Une femme, qui avait été sans doute dans les rangs ennemis, était étendue sans vie dans un fossé. Comme nous entrions à Moor, une jeune fille qui se trouvait sur notre passage, accompagnée