Quittant alors le général Rastich, j’allai passer la Tapio et le marais au-dessous de Schak, petit village entre Setzö et Bicske. Plusieurs chevaux, auxquels les boulets avaient arraché une partie de la croupe ou emporté une jambe, suivaient le chemin de la rive droite, en sautant péniblement, pour aller rejoindre leurs escadrons ; ces chevaux tout sanglans, qui veulent prendre leur place dans les rangs, qu’on ne peut parvenir à chasser et qu’il faut achever misérablement à coups de pistolet, sont un des spectacles les plus émouvans de la guerre.
Le ban avait fait avancer jusqu’à Schak plusieurs escadrons de cavalerie ; les officiers me dirent qu’on croyait la brigade Rastich perdue. Je lance alors mon cheval au galop ; j’arrive à Setzö ; sur tous les visages régnait la tristesse ; le ban lui-même paraissait agité ; je cours à lui : « Excellence, lui dis-je, la brigade Rastich sera ici dans une heure avec neuf canons pris à l’ennemi par les Ottochaner. — Ah ! mes braves Ottochaner, mes braves soldats ! Et vive Rastich ! s’écria Jellachich. Merci ! merci ! » Et le ban, ému, me serrait la main fortement. Les officiers m’apprirent alors que le général Zeisberg, chef de notre état-major, ne me voyant pas revenir, avait envoyé un officier pour avoir des nouvelles du combat ; cet officier n’avait vu de loin que le feu des derniers pelotons qui achevaient de se retirer, et, trompé ainsi que je l’avais été d’abord, il était revenu annoncer au ban que le feu avait cessé et que la brigade était probablement détruite ou prisonnière. Comme je sortais de la cour, je vis un homme qui pleurait en s’appuyant à la muraille ; j’allai à lui ; il se retourna ; ses yeux étaient pleins de larmes. « Ah ! mon pauvre maître, me dit-il d’une voix rauque entrecoupée de sanglots, mon pauvre maître est mort, les Hongrois l’ont tué : » c’était le domestique du major Riedesel. Le soir, il voulut aller chercher le corps de son maître, mais les avant-postes de l’ennemi ne le laissèrent pas passer. Le ban, qui avait fort aimé Riedesel, remit au curé de Setzö une somme d’argent, et lui recommanda de faire enterrer le major dès que les Hongrois auraient évacué Tapio.
Le lendemain matin, 5 avril, nous quittâmes Setzö et nous nous dirigeâmes vers Hatvan, afin de nous réunir au corps du général Schlick. Notre marche était calculée et combinée de manière à correspondre à celle que ce corps fit pendant la journée du 5, d’Aszod à Hatvan, pour reconnaître les forces de l’ennemi. Vers les quatre heures, comme nous arrivions en vue du village de Fenzaru, au sud de Hatvan, nous vîmes de loin quelques pelotons de honveds enlever les planches du pont sur la Zagyva. Le ban fit alors arrêter la colonne et envoya des patrouilles dans plusieurs directions pour se mettre en communication avec le corps de Schlick, qu’il supposait être encore devant Hatvan ; mais, à cinq heures, un officier d’ordonnance du prince vint annoncer au ban que la réserve et le corps de Schlick s’étaient retirés pendant la journée jusqu’à Isaszeg, village au sud de Gödöllö ; le ban renversa