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Vers midi, nous débouchâmes hors des bois, en vue d’Isaszeg ; à nos pieds, le terrain découvert descendait en pente douce jusqu’au ruisseau qui vient de Gödöllö et traverse le village d’Isaszeg ; sur la droite, la vallée s’ouvrait jusqu’à Gödöllö, dont on apercevait à une distance d’une lieue et demie les maisons blanches ; sur la gauche, des hauteurs couvertes de bois formaient un vaste amphithéâtre ; au-delà du ruisseau, devant nous, s’élevaient de hautes collines. Le ban laissa deux brigades sur la rive gauche du rivage et conduisit les trois autres sur les collines de la rive droite. Nous allions avoir enfin quelques heures de repos. On alluma les feux pour cuire la soupe ; mais bientôt le bruit du canon retentit sur la lisière de la forêt : les soldats, renversant alors les marmites, piquèrent sur leurs baïonnettes la viande à moitié cuite et allèrent prendre leurs rangs. Les boulets volaient déjà dans le village ; la cavalerie du général Ottinger sabra courageusement les premières compagnies qui débouchaient de toutes parts à travers les arbres clair-semés de la forêt ; mais, en moins de dix minutes, des masses de troupes ennemies se déployèrent sur le terrain découvert qui s’étendait depuis la lisière des bois jusqu’à la rive gauche du ruisseau. Le ban ordonna alors à nos deux brigades de se retirer et d’aller prendre position sur les collines où les trois autres étaient déjà. Il fallait, pour y arriver, passer d’abord le ruisseau sur un mauvais pont de bois. Douze pièces de canon de l’ennemi, descendant au galop sur cette pente rapide, vinrent lancer sur le pont des volées de boulets ; le désordre se mit parmi nos soldats. Cependant le lieutenant Kiee, ayant passé le pont, rangea ses pièces sur la rive droite, et, ripostant au feu des canons, les tint à distance. Les deux brigades qui passaient le pont purent alors gravir les collines, et elles y prirent position. Le ban rangea notre artillerie sur la crête des hauteurs et fit occuper les bois sur notre droite par la brigade Rastich. Il fallait à tout prix arrêter les Hongrois, qui venaient de placer sur les pentes des hauteurs en amphithéâtre une batterie dont les boulets, si elle se fût encore avancée de deux cents mètres, auraient enfilé toute notre position. Le combat présentait un beau spectacle. Du haut des collines où nous étions, nous voyions à nos pieds le village d’Isaszeg tout en feu et les bataillons hongrois rangés devant la forêt ; leurs nombreuses batteries paraissaient voler sur la plaine, puis elles se concentraient par masses pour écraser nos bataillons et démonter nos pièces. Il semblait alors, tant on tirait avec rapidité, que la terre fût entr’ouverte et laissât jaillir la flamme d’un volcan. Il était environ trois heures, le combat était dans toute sa violence ; l’air, plein d’étincelles et de fumée, coupé par les boulets, sifflait par instans comme traversé par un vent d’orage ; le ban se tenait près de nos canons, encourageant nos artilleurs de la voix et du geste ; notre corps tenait seul depuis deux heures contre toute l’armée hongroise ; tout à coup la flamme des canons jaillit sur les hauteurs