Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sorti, il s’assit sur mon lit et causa avec moi : il me raconta qu’il avait servi pendant trente ans dans un bataillon de grenadiers, il parla de l’empereur avec respect, et il me sembla qu’il cherchait à gagner ma confiance ; mais je l’observais et me défiais de lui. Il me souhaita une bonne nuit et sortit.

Je passai toute l’après-midi à combiner un plan d’évasion ; je visitai les barreaux de la fenêtre, et ayant trouvé au milieu d’un amas de vieux meubles cassés et jetés dans un coin un long crampon de fer, je le cachai : ce crampon était assez fort pour faire sauter une serrure, mais je vis tout de suite qu’il fallait renoncer à sortir par la porte, qui ouvrait sur l’intérieur de la forteresse. Il m’aurait fallu, en supposant cet obstacle franchi, traverser deux lignes de fortifications et les avant-postes hongrois : c’était impossible. J’essayai de faire plier les barreaux de la fenêtre, ils étaient trop forts ; cependant je parvins plus tard à en écarter deux de manière à pouvoir passer la tête. Ce n’était pas de l’intérieur de la casemate que je pouvais m’échapper : par la porte, par la fenêtre, la fuite était impossible, et les murs avaient six pieds d’épaisseur.

Le lendemain 22 mai, le prévôt entra comme la veille à midi dans la casemate, il me dit qu’il avait l’ordre de me laisser prendre l’air pendant une heure : je m’efforçai de paraître indifférent, mais j’avais peine à cacher ma joie ; j’allais donc pouvoir songer à de nouveaux moyens d’évasion. Le prévôt me mena sur une place plantée d’arbres, entourée de rapides talus gazonnés qui menaient sur les remparts ; au pied des remparts coulait le Danube : je vis la possibilité de m’échapper, de m’élancer dans l’eau et de me sauver à la nage ; je résolus d’attendre pendant quelques jours pour bien réfléchir sur mon plan avant de l’exécuter. Le prévôt recommença à parler de l’empereur, de son dévouement à la cause impériale (il était Slavon d’Eszek), mais j’étais sur mes gardes, persuadé qu’il avait ordre de jouer ce rôle pour gagner ma confiance et apprendre de moi nos plans et notre force ; je n’en doutai plus lorsque, le lendemain, il me dit avec une extrême exaltation qui lui fit venir les larmes aux yeux : « Capitaine, j’ai un poids énorme sur l’ame ; je ne puis supporter cette tyrannie hongroise ; l’empereur est-il donc sans pouvoir ? comment serons-nous délivrés de cette tyrannie ? Ah ! capitaine, si ce pouvait être bientôt ! — Doucement, patience, Kussmaneck (c’était le nom du prévôt), patience, ça viendra, lui dis-je en riant et en le regardant d’un air moqueur pour lui faire voir que je n’étais pas dupe de ses paroles et de ses beaux sentimens de fidélité. — Comment serons-nous délivrés ? continua-t-il sans se déconcerter ; le ban a-t-il donc une puissante armée ? » Cette dernière question me confirma encore davantage dans mes idées.

Cependant le 24, après avoir marché long-temps en silence, prés de