Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LA CLÉ D’OR. 293

donc? Devais-je vous imposer mes confidences?... Si vous m’aviez interrogée, Raoul, vous m’auriez trouvée, je tous le jure, aussi franche que je l’aie été jamais.

RAOUL.

Si je vous avais interrogée?... Et maintenant, — à cette heure même,

— oseriez-vous me répondre?

SUZANNE.

Oui, Raoul.

RAOUL.

Vous l’oseriez?... Eh bien! — dites, — ces rêves, ces illusions que vous me reprochiez si fort de ne plus partager, en avez-vous approfondi la valeur? Ces émotions, que vous envisagiez d’un œil si prévenu, ont-elles égalé votre attente?... Les estimez -vous toujours au même prix?

Suzanne, d’une voix basse et frémissante. Oui, toujours!... Laissez-moi parler, Raoul... ne repoussez pas ma franchise, — après l’avoir provoquée... Oui,... j’ai parcouru pas à pas ce chemin de mes songes, ce chemin de jeunesse où vous aviez refusé de me guider... J’y ai rencontré toutes les douces réalités des fantômes que vous aviez combattus... Si je m’étais trompée, c’était donc par trop de défiance de la bonté du ciel! Tout ce qu’il peut verser d’ivresse dans une larme, — je ne l’avais pas même pressenti! Oui, j’ai connu les angoisses mortelles, et les espérances infinies, et les courts instans qui laissent de si longs souvenirs... J’ai aimé enfin... j’ai été aimée, et j’ai béni Dieu!

RAOUL.

Je vous ai écoutée... Votre excuse est dans l’égarement de votre esprit et de votre langage... Il suffit. Vous avez enfin le roman que vous cherchiez... il vous satisfait. C’est bien; — ’mais, dites-moi, en avez-vous prévu le dénoûment?

SUZANNE.

Le dénoûment?... Je... je ne sais... (Elle tire de son sein la petite clé d*or et la présente à Raoul en hésitant. Raoul fait un geste de stupeur, et demeure les yeux fixés sur ceux de la jeune femme, qui reprend en souriant : ) VOUS doutez?... Ce roman... il est écrit... Voulez-vous le relire? (Elle lui montre un paquet de lettres ouvertes sur une table.) RAOUL.

Qu’est cela?... Mes lettres?... (il les saisit convulsivement.) Mes lettres à George!... Mais qu’y a-t-il donc?... au nom du ciel, parlez! ne me laissez pas ainsi!

SUZANNE.

Celui à qui vous les adressiez me les renvoyait aussitôt reçues. Estce qu’il a eu tort, Raoul? Il vous a trahi, cela est vrai... mais j’ai été