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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/317

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— Eh bien! Lidia, lorsqu’un vaisseau s’est fendu sur des écueils, lorsqu’il échappe aux fureurs de la mer et qu’il rentre au port, si l’on ne tient compte des dangers et des épreuves qu’il vient de subir, il peut lui arriver de sombrer au moment où l’on s’y attend le moins. Le cheval épuisé meurt à la peine, si son maître ne lui donne pas après le travail le repos et la nourriture...

— Ce début est solennel, interrompit Lidia. Je vois où mènent ces comparaisons. Votre cœur est semblable à un vaisseau fêlé aussi bien qu’à un cheval fourbu.

— Ingrate, injuste, impitoyable femme ! s’écria Geronimo en jetant ses bras en l’air. Ne trouverai-je donc jamais un peu de bonté dans votre ame? Quel moment du jour, quel jour de l’année faut-il choisir pour vous parler d’un amour que vous poussez au désespoir? Ne vous ai-je pas donné assez de preuves de mon dévouement et de ma persévérance? Ce n’est plus la tendresse qui me manque, ce sont les forces; mon courage est à bout. C’est aujourd’hui qu’il faut me répondre sérieusement; demain il ne sera plus temps.

— Oh ! dit la jeune veuve, j’avais tort de m’attendre à des reproches; ce sont des menaces que vous me faites. Vous savez l’effet qu’ont produit sur moi celles de don Giacomo. Jugez donc de ma partialité pour vous, puisque je ne vous traite pas avec la même sévérité que le Calabrais. La réponse sérieuse que vous demandez, on vous la fera tout de suite : si les forces vous manquent et si votre courage est à bout, j’en suis bien fâchée, mais je ne puis prendre un mari sans l’aimer, et je ne vous aime point assez pour vous épouser. Croyez-vous, sans cela, que j’attendrais ainsi des semaines et des mois? Vous me voyez à votre aise tous les jours et du matin au soir. Qui vous empêche de m’inspirer de l’amour? Vous n’en savez rien, ni moi non plus. Ne vous suffit-il point que je ne vous préfère personne? Si vous désespérez de me toucher le cœur, ce n’est point ma faute. Aussitôt que je partagerai votre passion, vous le verrez de reste. M’interroger est inutile. Renfoncez donc vos menaces, votre colère et vos plaintes, et arrêtons-nous ici; ce point de vue magnifique vous calmera les sens.

Lidia sauta légèrement à terre sur une petite esplanade d’où l’on découvrait le golfe de Salerne et son vaste panorama; mais l’exaltation de Geronimo ne s’apaisa point.

— Nature sublime! s’écria-t-il en pleurant, je te prends à témoin de mon dernier effort et de l’insensibilité de celle pour qui je donnerais ma vie.

— Ne criez pas ainsi, dit Lidia; vous êtes bien plus gentil quand vous parlez à demi-voix, comme tout à l’heure.

— C’est la volonté divine, poursuivit Geronimo, qui se fait connaître dans cette insensibilité funeste. Je lui obéirai. O douleur! ô déception!