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Noires ou jaunes, les plus riches familles se sont parfois littéralement ruinées pour les morts. Il y a des négresses qui passent leur vie à préparer et à enrichir leur toilette funèbre, et tels pauvres diables qui logent sous un arbre, se nourrissent de crudités, s’habillent d’un rudiment de haillon ou d’un rayon de soleil, trouvent le secret, en se cotisant, d’improviser des funérailles homériques à celui d’entre eux qui les a précédés au pays des ancêtres.

La garde encombrait la cour du palais, appuyée sur ses fusils et les pieds dans le sang. Elle avait perdu dix-sept des siens dans le choc de la soirée précédente, et les oraisons funèbres qu’elle débitait en leur honneur étaient aussi inquiétantes par le style que par la pensée. Une explosion de murmures accueillit les deux consuls. Au moment où ils allaient franchir le perron, un capitaine, se détachant de sa compagnie et s’adressant particulièrement à M. Raybaud, voulut savoir s’il venait encore « demander des graces. » M. Raybaud, bien entendu, ne daigna pas répondre. À leur arrivée dans la salle de réception, le président leur envoya les secrétaires d’état provisoires, s’excusant de ce qu’il ne pouvait les recevoir lui-même et s’enquérant du motif de leur visite. Une laborieuse conversation s’engagea à distance, et grace aux allées et venues des quatre ministres, entre lui et les consuls. M. Raybaud réclama vivement le droit d’asile pour les pavillons consulaires, et insista sur la nécessité de reconnaître ce droit dans la plus large extension possible, du moins pour la circonstance, sauf à s’entendre plus tard sur les restrictions à y apporter. Le président ne voulut l’admettre qu’en faveur des femmes et des enfans, exigeant impérativement la remise du jeune homme réfugié dans le consulat britannique. Il finit par n’insister que dans le cas où ce serait un individu qu’il désigna. Ce dernier point, sur lequel le président consentit à céder encore, est celui qui donna lieu à la discussion la plus vive ; mais Bellegarde avait mis d’avance et à leur insu les deux parties d’accord : l’individu en question était déjà fusillé. Avant de quitter les ministres, le consul ne put s’empêcher de leur dire qu’il était bien temps que cette horrible tragédie finît, et après leur avoir représenté quel coup funeste allait être porté aux intérêts matériels du pays, comme au commerce étranger dont la plupart des débiteurs étaient ou morts ou fugitifs, après leur avoir de nouveau recommandé le respect dû non-seulement aux consulats, mais encore au domicile et aux propriétés des Européens, M. Raybaud les prévint que, dans la crainte de quelque méprise, il allait autoriser les résidens français à suspendre à l’une des fenêtres de leurs maisons une cornette tricolore. Ce point fut encore concédé avec l’assentiment du président ; les maisons habitées par les Français devinrent ainsi par le fait autant de nouveaux lieux d’asile. Le consul rappela en outre qu’un grand nombre de magasins appartenant à des gens du pays contenaient des