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la personne qui est assise à ce coin-là ? Comment la trouvez-vous ? — Plutôt bien que mal, l’air très bonne personne. — Ah ! vous trouvez ; c’est doña Mercedes, la religieuse brûlée. Quelle religieuse ? Comment, vous ne savez pas ? — Mon Dieu, non. — C’est une curieuse histoire, et je vais vous la raconter. Doña Mercedes était d’une famille noble d’Aréquipa. Au moment de prendre le voile, et dans la visite d’adieux qu’elle fit comme novice, il fut aisé de voir que sa vocation était factice, car elle ne répondait que par des pleurs aux félicitations banales de ses amies sur la sainte profession qu’elle allait embrasser. Le père de doña Mercedes était un vieil hidalgo qui avait décidé que la fortune de la famille passerait entière à son fils, et que sa fille entrerait au couvent. Un amour contrarié avait, dit-on, rendu doña Mercedes plus docile aux volontés de son père ; mais de vifs regrets succédèrent bientôt à ces premières résolutions. Il n’était plus temps. En fille d’esprit, elle se résigna ; la résignation fut même si complète, que la nouvelle religieuse mérita par sa conduite exemplaire la charge de portière du couvent. Une nuit, le feu se déclara dans la cellule de la portière : on l’éteignit aisément ; mais, quand on entra chez la nonne, on trouva son corps à moitié consumé par les flammes. Les obsèques se firent, la famille fut complimentée sur la mort de la sainte fille, et l’on était en train d’oublier le douloureux événement, quand une servante du couvent crut reconnaître doña Mercedes en personne à la fenêtre d’une maison de la ville. On alla aux informations ; c’était bien elle. Il paraît qu’elle s’était mise en rapport avec un médecin espagnol qui avait ses entrées au couvent et qui lui avait procuré un cadavre de l’hôpital, qu’elle enduisit d’esprit de vin auquel elle mit le feu. Le médecin devait l’épouser et la conduire dans une autre province. La nonne ressuscitée, le pauvre docteur a été effrayé des conséquences de l’aventure ; il a craint la vengeance de la famille et les persécutions du clergé ; le cœur lui a manqué, et il est allé révéler la chose à l’évêque d’Aréquipa. L’évêque a voulu faire rentrer la jeune femme au couvent ; l’ex-nonne a résisté ; elle s’est retirée chez une de ses amies où elle reçoit des visites de toute la ville, et a déclaré que, si on la forçait à rentrer au couvent, elle se tuerait cette fois tout de bon. »

Cette histoire achevée, comme nous n’étions encore qu’à quelques pas du balcon de doña Mercedes, je me surpris à regarder l’ancienne nonne avec plus d’attention, et je trouvai qu’elle avait de beaux yeux noirs insolens, avec un front d’une merveilleuse audace.

Quoique bien affaiblie, l’influence du clergé est encore considérable, et il lutte vigoureusement pour regagner ce qu’il a perdu en crédit et en biens. Il réclame, comme lui ayant appartenu de tout temps, l’éducation de la jeunesse. Le gouvernement du Pérou a fondé un collége national sous la direction de professeurs français, lui allouant