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« On prétend que je suis le plus perfide de l’assemblée, mais je vous rends le pompon ! »

Je n’avais mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité !


Et il en a été ainsi de toutes nos perfidies depuis le 24 février. J’ignorais, en entrant à la séance, l’article du National qui mentionnait l’envoi projeté des commissaires dans les départemens ; j’ignorais les nominations déjà arrêtées, les rumeurs qui en avaient circulé la veille : la rue de Poitiers ; M. Baze et moi n’avions pas concerté l’interpellation, et lorsque M. Marrast, qui ne présidait pas ce jour-là, accourut pour opposer à l’irritation de l’assemblée les ressources ingénieuses en esprit conciliant, il n’eut pas d’auxiliaires plus fervens que les interpellateurs eux-mêmes. Je n’avais exprimé à la tribune que mon sentiment ; je m’estime heureux de l’avoir fait prévaloir, mon attente n’allait, point au-delà, et mon souhait pas davantage.

Enfin le général Cavaignac avait laissé tomber de la tribune deux paroles imprudentes, irréfléchies, mal comprises, mais qui firent frissonner la France, et planèrent désormais au-dessus de tous les efforts tentés en sa faveur pour l’élection présidentielle. Depuis le 25 février, depuis qu’on avait eu à opter entre la soumission ou la résistance à la république, aucune délibération plus grave ne s’était ouverte, ou plutôt c’était la même délibération qui recommençait. Elire le général Cavaignac, c’était perpétuer au pouvoir les expédiens et les tâtonnemens dont on se plaignait ; élire le prince Louis, c’était en finir avec la république, dont on ne voulait pas se défaire. Quelle perplexité pour les hommes sincères : Avec des pensées soigneusement dissimulées, quelle belle occasion de les mettre au jour ! Avec des avidités et des ambitions, quelle belle chance de les mettre à profit ! Que vit-on cependant d’un bout à l’autre de la France, sinon une longue et consciencieuse angoisse de la droiture et de la bonne foi ?

Le premier avis fut le plus naturel : c’était celui d’écrire sur son bulletin le nom d’un candidat qui fût bien complètement sympathique, identique au parti modéré. On songea à déférer cette illustre candidature au maréchal Bugeaud, au général Changarnier, à M. Molé, à M. Thiers. Ces hommes d’état déclinèrent successivement cet honneur pour eux-mêmes, chacun le reportant sur son collègue ; mais leurs amis continuèrent long-temps à vouloir le leur imposer. On avait renoncé dans les comités de Paris, qu’on y persistait encore dans les comités de province.

Lorsqu’on fut parvenu, à force d’instances, à déraciner dans les départemens l’idée d’un troisième candidat qui, en fait et malgré les meilleures intentions contraires, eût achevé d’éparpiller, au lieu de servir