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qu’elle mérite ; on n’ose pas trouver charmante la patrie de M. de Pourceaugnac elle est telle cependant, et pas un observateur sans préjugés, s’il en existait, ne devrait le contester.

Un jour d’automne, je faisais ces réflexions en regardant le soleil se lever au-dessus des bruyères roses qui couvrent une partie du département de la Corrèze. Au début d’une chasse qui s’annonçait mal, nous nous étions arrêtés, mes trois compagnons et moi, sur le haut d’une montagne aride, d’où l’on dominait le pays à dix lieues à la ronde. Au-dessus de nos têtes, le ciel était d’une admirable pureté, et devant nous s’étendait à perte de vue un paysage qui pouvait soutenir toute comparaison. Les landes désertes, les lacs endormis, les cascades de Gimel bondissant dans leurs rochers, les forêts de châtaigniers déjà rougies par l’automne, les troupeaux errans, les lignes accidentées d’un horizon bleuâtre, le calme incomparable de ce paysage austère, tout cela composait un tableau triste et grandiose, qui faisait à la fois rêver aux silencieuses campagnes de l’Attique et aux âpres montagnes de l’Écosse. Une seule chose manquait à notre bonheur ce jour-là, c’était le gibier. Les perdreaux étaient rares, les lièvres introuvables, et l’on perdait sa peine à poursuivre dans un pays aussi découvert des volées de grives qui fuyaient à mille pas. Nous avions remarqué que ces bandes d’oiseaux voyageurs allaient toujours du nord au sud. — Les grives vont aux vendanges, dit l’un de nous. — Pourquoi ne faisons-nous pas comme elles ? ajouta l’autre. — Au fait, dit le troisième, puisqu’il n’y a pas de gibier, faisons un voyage. — C’est convenu, déclara le dernier, nous partons à l’instant à pied, et nous allons par le pays bas[1] jusqu’à Roc-Amadour.

Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Une sorte de paquetage de soldat fut immédiatement organisé dans nos gibecières, et, le jour même, nous partîmes à travers champs, comme les grives.

On a vraiment grand tort de mesurer l’intérêt d’un voyage sur sa durée et celui d’un pays sur son éloignement ; on se trompe en pensant qu’il faut aller loin pour trouver des aventures et naviguer deux ans pour voir des choses curieuses. Un homme s’est rencontré qui a fait autour de sa chambre un voyage plus fécond en péripéties, de tous genres que les traversées sans nombre d’une infinité de marins que je connais, et l’on peut faire, Dieu merci, d’intéressantes tournées sans dépasser « les rives prochaines » dont La Fontaine défend de s’éloigner ; seulement il est moins facile de voyager de cette façon-là que de l’autre : il faut s’y être préparé de longue date. Pour être habile à voir, il faut avoir regardé beaucoup. On ne devient même curieux

  1. On nomme le pays bas la portion méridionale du département de la Corrèze qui est couverte de vignobles.