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et la vérité, je n’ai rien à vous dire. » Et il donna cavalièrement sa démission. J’ai voulu simplement montrer, par cet exemple pris au hasard, quelle sève avait encore cette noblesse apauvrie, et quel abîme sépare les pères de leurs enfans. Un collégien de quatorze ans, quelle figure ferait-il aujourd’hui en tête d’une compagnie, quel latin parlerait-il en pays étranger, quelle attitude serait la sienne en face d’un grand ministre ? Notre gros ami que nous venions de quitter, quel rôle eût-il joué à côté de ce petit officier élevé dans un village voisin d’Égletons ? Avec la conscience du devoir et l’enthousiasme du passé, nous avons perdu cette énergie native et ce noble orgueil où nos pères puisaient leur héroïsme. Pour acquérir ce qui leur manquait, nous avons sacrifié le trésor qui les faisait riches malgré leur pauvreté, la foi, qui seule produit des miracles.

Je reviens à Castelnau, et je déclare que jamais montagne ne porta un château de mine plus féodale. Au-dessus d’une immense vallée où la Dordogne se déroule majestueusement au milieu des prairies en fleurs et des champs jaunis par le soleil, que l’on se figure sur le haut d’un rocher, entre la terre et le ciel, un château grand comme une ville entière, construit en pierre rouge comme de la sanguine, des tours énormes profilant sur l’azur leurs silhouettes sombres échancrées par le temps, des murs crénelés sur lesquels sont poussés de gros chênes, des nuées de corbeaux et d’oiseaux de proie tournoyant dans les airs, un silence de mort pesant sur ce paysage : voilà Castelnau. Il est vrai que toutes les descriptions de châteaux ressemblent à celle-ci, et pourtant Castelnau est un monument exceptionnel. Il est plus entier, plus complet, mieux conservé qu’aucun manoir que j’aie visité : non-seulement la charpente et les toits sont encore debout, mais dans l’intérieur les boiseries sculptées, les planchers, les dorures, les peintures même, tout est à sa place. Le propriétaire actuel n’a pas dégradé, il faut lui rendre cette justice et lui pardonner pour cette raison la raideur singulière avec laquelle il interdit quelquefois l’accès de son château. Les vastes cours sont jonchées de ronces, d’orties, de sureaux, de menthes sauvages cette sombre végétation répand une odeur âcre qui vous saisit et vous attriste tout d’abord. La flore, des ruines et des cimetières est la même, et rien ne ressemble plus à un tombeau qu’une maison déserte. Ce retour mélancolique sur soi-même que la solitude inspire, je ne l’ai jamais ressenti plus vivement que dans ces murs sinistres, d’où les habitans semblent à peine sortis. Dans cette galerie grandiose qui traverse le château dans toute sa longueur et aboutit à un vaste balcon de pierre d’où l’on domine une des plus riantes vallées de France, rien ne manque, sinon les tableaux ; les patriotes intelligens de 93 les ont volés : ils les ont fait bouillir pour en confectionner des chemises. On pourrait s’établir demain dans ces chambres