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la tête de quelques milliers d’hommes, résolut le problème de battre pendant quelques mois toutes les routes de l’Espagne, du nord au midi en échappant à toutes les poursuites ; il s’était frayé un chemin jusqu’au cœur de l’Andalousie. Le ministre de la guerre Rodil, envoyé contre lui, traçait des parallèles et se plaignait de la malicieuse lenteur du chef carliste à opérer selon ses calculs ; les divisions d’Alaix et de Ribero, détachées de l’armée du nord, ne pouvaient parvenir à atteindre l’insaisissable partisan, ou faisaient halte dans une ville au moment où il en sortait. On jeta les yeux sur Narvaez, qui était à Medina-Celi, et on lui donna l’ordre de se mettre à la poursuite de Gomez, en lui confiant de pleins pouvoirs pour prendre au besoin le commandement de toutes les troupes déjà engagées. Narvaez s’élança en effet avec une foudroyante rapidité jusqu’au fond de l’Andalousie, et il manoeuvra de telle sorte qu’il atteignit Gomez, le 25 novembre 1836, sur le plateau de Majaceite, près d’Arcos, où il le jeta dans la plus sanglante déroute. Pour pousser à bout sa victoire, il voulut appeler à lui la division d’Alaix, qui s’était tenue à distance ; mais cette division obéit mollement d’abord, puis finit par se mettre en pleine révolte à La Cabra, prétendant ne reconnaître après Espartero, de l’armée duquel elle avait été momentanément distraite, que son général, Alaix ; celui-ci se prêta complaisamment à l’insubordination de ses soldats. C’est à cet acte d’indiscipline que Gomez dut sans doute son salut personnel ; il fut du moins forcé de regagner précipitamment le nord de l’Espagne, en laissant derrière lui beaucoup de morts et en abandonnant le butin qui l’accompagnait. Si l’on songe que cette expédition de Gomez avait été pendant quelques mois comme le mauvais rêve de l’Espagne, comme une vision ironique et agaçante qui était la plus palpable démonstration de son impuissance, on ne s’étonnera pas de l’immense popularité qui entoura subitement le nom de l’heureux vainqueur de Majaceite. Narvaez devint le héros du moment. Majaceite marque une heure décisive dans la fortune du général Narvaez, — décisive à double titre, — non-seulement. par l’éclat qui en rejaillissait pour le moment sur son nom, mais parce que, là aussi, dans ce différend avec Alaix, le lieutenant d’Espartero, on voit poindre cet antagonisme qui s’est étendu du champ de bataille aux affaires politiques, des personnes aux idées, qui n’a cessé de grandir avec des alternatives diverses, pour venir se dénouer, en 1843, dans un combat d’un quart d’heure à Torrejon de Ardoz, et se résoudre, au point de vue politique, dans la défaite du parti progressiste, dont Espartero s’était fait le représentant.

Un des épisodes où se dénote tout-à-fait et avec une supériorité réelle ce mélange d’instinct militaire et d’instinct politique qui caractérise le général Narvaez, c’est la création de l’armée de réserve dont il fut chargé sous l’impression de ses succès de Majaceite et la pacification