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les paysans de Florian. Denis Ronciat déplaira sans doute à tous ceux qui ont rêvé la vie rustique comme une idylle calme et sereine, faite de bonne foi, de loyauté, de promesses sincères, d’espérances accomplies ; quant à ceux qui préfèrent la vérité au mensonge, je ne doute pas qu’ils ne reconnaissent dans Denis Ronciat le type cru, mais le type complet du paysan perverti par l’oisiveté. Le temps des bergeries est passé ; les paysans de Florian ne sont plus maintenant qu’une vieille guenille, bonne tout au plus à distraire les enfans et les nourrices ; ils sont enveloppés, avec les paysans de Berquin, dans un légitime oubli. Denis Ronciat est dessiné d’après nature, et la vérité, si cruelle qu’elle soit, vaut mieux pour les hommes sensés que Berquin et Florian.

Sylvain, amoureux de Claudie, a toute la naïveté, toute la candeur, toute l’ignorance que l’on peut souhaiter ; il se laisse prendre à la beauté, à la fierté de la femme qui l’a charmé, et ne comprend pas qu’une telle fierté puisse se concilier avec le souvenir d’une faute. Quand il apprend qu’il s’est trompé, que la femme qu’il aime n’est pas pure aux yeux du monde, il se désole et se désespère, sans renoncer à son amour ; c’est bien là, quoi qu’on puisse dire, le type de l’homme vraiment épris. L’orgueil n’a joué aucun rôle dans les premiers développemens de sa passion, l’orgueil humilié ne suffit pas à tuer la passion déjà vive et ardente ; Sylvain ne demande, pour persévérer dans son amour, qu’un mot d’explication, une parole de repentir ; ou plutôt une parole de franchise. Que Claudie lui avoue sa faute, qu’elle ne lui cache rien, et il l’aimera résolûment, il la soutiendra comme si elle était pure et sans tache.

Le père Fauveau, qui ne voit rien au-delà des idées vulgaires, condamne la passion de son fils au nom des principes déclarés inviolables par le monde. L’auteur a bien fait de mettre en scène le père Fauveau, car il était nécessaire que l’opinion acceptée comme règle universelle de conduite fût représentée par un esprit tout à la fois honnête et obstiné. À Dieu ne plaise que je proscrive l’entêtement du père Fauveau ! ses scrupules ne sont pas dépourvus de bon sens. S’il se rencontre en effet des filles séduites qui ont succombé en raison même de leur candeur et de leur pureté, je ne saurais pourtant blâmer les chefs de famille qui n’acceptent pas la faiblesse comme une garantie de fidélité. En pareil cas, à mon avis, la défiance et la résistance sont des preuves de sagacité. Avant de prendre pour bru une fille mère, il n’est pas mal d’y regarder à deux fois.

La Grand’Rose, qui, dans la pensée de l’auteur, signifie l’indulgence, n’est pas pour moi tout ce qu’elle devrait être ; pour obéir à l’esprit de l’Évangile, il fallait faire de la Grand’Rose une femme pure et sans reproche. Quand le Christ pardonne à Madeleine, à la femme adultère, et