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quelque chance de remettre sous leurs mains le canton le plus puissant de la Suisse, d’intimider par là le conseil fédéral et de rouvrir la Suisse aux réfugiés, quand la Suisse a déjà eu tant de peine à secouer le fardeau de cette hospitalité qu’on lui voulait presque imposer de vive force. Heureusement le gouvernement actuel de Berne peut compter sur la majorité de la population urbaine et de celles des environs dans un rayon de plusieurs lieues.

C’est cette forte ceinture qui le met à l’abri d’un coup de hasard ou d’audace ; mais n’est-ce pas une étrange condition, dans une grande ville d’un pays civilisé de se voir réduit pour être sûr de la paix du lendemain, à veiller aux portes et à garder sa banlieue ? On dirait en vérité l’isolement du moyen-âge, et, comme au moyen-âge, la guerre en permanence de voisin à voisin. Il est temps que la Suisse en finisse, et puisse-t-elle en finir à elle seule ! On agite de plus en plus sérieusement, dans les grandes cours d’Allemagne, le projet d’intervenir en Suisse. Il y a loin encore du projet à l’exécution, et la neutralité du sol helvétique n’est point un principe sur lequel il appartienne aux chancelleries d’outre-Rhin de décider si fort à leur aise. Tant que l’Allemagne n’en est qu’à régler ses propres affaires, l’Europe se sent très peu curieuse d’y rien voir ; il n’en va pas ainsi des affaires européennes. L’affaire suisse serait de celles-là ; ce n’est pas une raison pour que le gouvernement fédéral ne s’attache point par-dessus tout à ne la pas soulever.

En Allemagne, le triste drame de la guerre des duchés s’est enfin dénoué par son inévitable conclusion. Les commissaires de la diète germanique se sont chargés de mettre en œuvre le traité de paix du 2 juillet dernier, et la lieutenance de Schleswig-Holstein a licencié l’armée insurrectionnelle avec la proclamation de rigueur. Ainsi finit, à l’honneur du Danemark, un des plus sanglans épisodes des révolutions de 1848. Le peuple des duchés, si courageux et si honnête, s’est épuisé par les plus cruels sacrifices en croyant s’immoler au devoir national qu’on lui exagérait. Son exaltation n’a servi qu’à livrer ce malheureux pays en pâture aux fantaisies conquérantes de l’orgueil allemand, qu’à fournir un débouché aux enfans perdus de la démagogie allemande.

Quant aux autres suites des événemens de mars, elles ne paraissent point encore si près d’un terme quelconque. Deux grandes puissances peuvent vivre long-temps dans un accord plus apparent que réel mais l’apparence brisée ne se raccommode plus guère. C’est ce qui arrive pour la Prusse et pour l’Autriche. Tous les replâtrages possibles ne servent pas à beaucoup plus qu’à empêcher cette lutte ouverte, cette lutte armée dont ni l’une ni l’autre ne voulait. À peine semblent-elles s’entendre sur les questions politiques, que la discorde recommence sur les questions commerciales. L’Autriche prétend opposer un Zollverein qui lui appartienne au Zollverein prussien, et battre en brèche de ce côté-là comme de tous les autres les lignes de défense de la Prusse. La grande union douanière projetée par M. de Bruck, le ministre du commerce en Autriche, menace le cabinet de Berlin d’une concurrence redoutable. Si les plénipotentiaires de Dresde doivent réglementer tout cela, ces conférences ne sont pas près de finir. En attendant, on s’observe toujours d’un œil jaloux. Les corps autrichiens de l’armée d’exécution dans les duchés occupent le Lauenbourg. À la nouvelle qu’ils marchaient sur Hambourg, on a vu des régimens prussiens prendre tout de suite les devans, comme si cette seule approche était un péril.