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succès qu’au temps où nous vivons. Depuis un siècle environ, l’Asie s’est ouverte à l’activité infatigable des Européens. La Russie a rangé sous ses lois toute la partie nord de ce vaste contient, tandis qu’au sud l’Angleterre a créé dans l’Inde un empire colossal et sillonne de ses navires l’immense étendue des mers orientales. La France a planté son drapeau sur la côte septentrionale de l’Afrique. À l’ouest, au sud, s’élèvent d’autres établissemens fondés par les Européens, et le moment viendra sans doute où ils pourront s’élancer dans les profondeurs de cette terre mystérieuse. Les conquêtes du commerce et des armes dans l’Orient ont facilité les nobles et pacifiques conquêtes de l’intelligence. Les idiomes et les monumens des peuples asiatiques et africains ont été interrogés avec une persévérance dont les résultats, déjà très remarquable en promettent de plus grands et de plus complets pour l’avenir. La nature intime de ces idiomes s’est dévoilée aux patientes et ingénieuses investigations de la philologie comparée, et a jeté un jour tout nouveau sur les origines et les migrations des peuples de notre Occident. L’étude de plusieurs langues, négligée auparavant et parmi lesquelles le sanskrit tient le premier rang, nous a donné accès à des littératures aussi riches qu’originales. De nombreux manuscrits, transportés dans les grandes bibliothèques de l’Europe, recèlent une mine inépuisable de documens que chaque jour voit mettre en lumière. Les savans ont pu contrôler ou éclaircir les récits des Arabes, des Persans et des Chinois, qui, mieux que toutes les autres nations, : ont connu et décrit les régions inaccessibles de l’Asie centrale. Les Arabes nous ont fourni les renseignemens les plus précis que nous possédions sur l’Afrique, dans l’intérieur de laquelle ils ont pénétré plus avant qu’aucun de nos voyageurs modernes. C’est grace à ce progrès des études, orientales, et en profitant de toutes les découvertes faites depuis un siècle que M. Reinaud a pu acquérir une pleine intelligente du livre qu’il vient de faire passer dans notre langue et résoudre les questions multipliées et souvent très obscures qu’il soulève.


I. — VIE ET TRAVAUX D’ABOULFEDA.

Le voyageur qui parcourt la Syrie en suivant le cours de l’Oronte trouve sur ses pas une ville, Hamat, dont l’origine remonte à la plus haute antiquité. D’après le témoignage de Moïse, Hamat existait déjà à l’époque où les enfans d’Israël se préparaient à quitter l’Égypte pour aller envahir la terre de Chaman. En des temps postérieurs, les rois Séleucides lui donnèrent, avec le nom d’Épiphanie, un nouvel éclat. Lorsque les Arabes, après la mort de Mahomet, envahirent la Syrie, Hamat, ainsi que les villes de cette contrée qui avaient reçu une nouvelle dénomination, reprit son ancien nom, et elle l’a conservé avec une partie de son importance jusqu’à nos jours.

L’illustre Saladin, vers l’an 574 de l’hégyre (1178 de Jésus Christ), ayant ajouté la Syrie à ses autres conquêtes, y établit plusieurs principautés qu’il distribua comme fiefs aux membres de sa famille et aux plus braves de ses émirs. Hamat et quelques cités voisines devinrent le partage de son neveu, Taky Eddin (celui dont la religion est pure). Lorsque plus tard les mamelouks eut renversé leurs anciens maîtres, les sultans d’Égypte, successeurs de Saladin, les émirs feudataires de ces derniers furent tous dépossédés. La famille