sorte de doctrine tout à la fois philosophique et poétique, dont le sens général, nettement formulé, nous servira de guide et de conseil dans le jugement que nous voulons prononcer.
La Ciguë est un heureux début. Bien que l’auteur ait choisi Athènes pour le lieu de l’action, rien dans le dialogue ne rappelle le placage archéologique. Clinias, Cléon, Pâris, Hippolyte, ne songent pas un seul instant à nous montrer qu’ils savent le nom du vêtement qu’ils portent, des meubles qui les entourent, de la coupe qu’ils tiennent à la main. C’est à mes yeux un mérite très réel, dont je sais bon gré à M. Augier. Je suis tellement las des prétendus poèmes où l’érudition tient la place de la poésie, que j’ai accueilli avec une joyeuse reconnaissance une comédie athénienne qui peut se passer de scolies. L’auteur n’a choisi Athènes que pour donner à sa fantaisie un plus libre cours. S’il a recueilli sur les bancs du collège une ample moisson de souvenirs historiques, il a eu le bon goût d’user modestement de son savoir. Il lui eût été bien facile, en relisant le Voyage d’Anacharsis ou les biographies de Plutarque, de se composer en quinze jours un bagage très satisfaisant, et d’étaler aux yeux de la foule ébahie des richesses si facilement acquises. Il a eu le bon sens de nous parler comme un homme qui aurait vécu familièrement avec les bourgeois d’Athènes, et sa modestie lui a porté bonheur ; elle a donné à l’action, au dialogue, une allure vive et spontanée, bien difficile à concilier avec l’érudition qui tient à se montrer. La résolution prise par Clinias deviendrait un lieu commun de collége ; s’il appelait au secours de sa volonté défaillante quelques maximes de la philosophie antique, ramassées dans les écoles d’Athènes. Grace à Dieu, Clinias parle de son ennui et de sa mort prochaine avec une simplicité parfaite : il a usé, abusé de toutes les joies, il le croit du moins, et se réfugie dans le suicide comme dans le seul asile qui lui soit ouvert. Pour lui, la volupté n’a plus d’ivresse, le jeu plus d’émotions, le vin plus de saveur. Las de tous les plaisirs que la richesse peut donner, il croit avoir épuisé la vie. Avant de boire la ciguë qui doit le délivrer de son ennui, il réunit à sa table Cléon et Pâris, compagnons assidus de ses plaisirs, témoins et complices de toutes ses folies. Il leur explique son projet et réfute sans amertume et sans colère toutes les objections que leur suggère leur amitié faite d’égoïsme et de sensualité. — Clinias mort, adieu les splendides festins, adieu les belles courtisanes ; il leur faudra vivre sagement, sinon pour s’amender, au moins par économie, car la bourse de Clinias est toujours ouverte, et ses amis peuvent y puiser à pleines mains. — Clinias, en les écoutant, conçoit la pensée d’égayer sa dernière heure ; son intendant doit lui amener aujourd’hui même une jeune esclave. Que Pâris et Cléon se disputent le cœur de la belle Hippolyte, et le vainqueur sera l’héritier de Clinias. Cette pensée renferme déjà