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craignant le même sort que Santos Ladron, allèrent au devant du danger pour échapper à la persécution. Le lendemain, trois cents jeunes gens des premières familles de Pampelune rejoignirent les insurgés les défiés de la Berrueza. Une junte carliste, composée de personnages influens, s’était déjà réunie dans le village de Piedramillera. Ce fût vers ce ridage que se dirigea, le 29 octobre, par une journée humide et sombre un homme d’un certain âge, enveloppé d’un manteau gris brun, qui cachait à moitié son costume militaire, et monté sur un petit cheval navarrais qu’il éperonnait avec impatience. Il était sorti le matin de Pampelune, à pied, le manteau sur les yeux pour n’être point reconnu et les sentinelles des portes, voyant sa démarche fière et insouciante, n’avaient point osé l’arrêter au passage. Arrivé à Huerte Araquil, il prit avec lui deux notables de ce village ; et continua sa route avec eux. Le lendemain, ces trois hommes arrivaient au camp des insurgés.

Leur entrée à Piédramilléra fit une certaine sensation. Le manteau de l’inconnu, s’étant écarté, avait laissé voir aux soldats assemblés un costume de colonel de l’armée espagnole. Quelques officiers, qui l’avaient respectueusement salué au passage ; avaient prononcé le nom de don Thomas Zumalacarregui : ce nom n’avait réveillé aucun souvenir dans la foule. Il fallut que les officiers racontassent aux insurgés les antécédens de ce colonel inconnu, comment les régimens qu’il avait commandés étaient toujours les mieux disciplinés et les mieux tenus, comment il avait été mis en retrait d’emploi en 1832, étant gouverneur du Ferrol, comment il avait été soumis à une enquête à cause de ses opinions royalistes ; ce qui le décida à donner sa démission, et comment il avait obtenu, en juillet 1833 par la sollicitation de ses amis, de se retirer à Pampelune, sous la surveillance ombrageuse du gouverneur général Sola, auprès de sa femme et de ses trois filles.

Alors il est des nôtres ? demandèrent les insurgés.

Don Thomas est d’Ormaiztegui, en Guipuzcoa, à quelques lieux de chez nous, répondirent les officiers.

Aussi, lorsque Zumalacarregui sortit de chez Iturralde, où la junte s’était assemblée pour le recevoir, la fouler acclama t elle don Thomas. Les insurgés, qui sentaient déjà que celui là allait devenir leur chef, le regardèrent avec une attention respectueuse. C’était un homme de quarante cinq ans (il était né le 29 septembre 1788), d’une taille un peu au dessus de la moyenne, mais légèrement voûté. De sa lèvre supérieure, fine et mobile, tombaient deux moustaches noires, qui allaient rejoindre des favoris peu fournis. Ses deux yeux, presque ronds et rapprochés, lançaient un regard pénétrant, tout chargé de commandement. Le trait le plus caractéristique de son visage pâle et régulier était un menton proéminent comme celui de l’empereur Napoléon,