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les habitans se mettaient aux fenêtres et couraient aux portes. Les postillons, armés de sabres et de couteaux, avaient si bonne tournure en galopant, nos quatre péons levaient si fièrement la tête, qu’on répétait le soir sur la grande place de Cordova : Han llegado unos Ingleses ; — il est arrivé des Anglais !…

Après avoir séjourné quelque temps dans la jolie petite ville de Cordova, qui fut jadis la Salamanque des provinces Argentines, nous prîmes congé de don Mateo pour continuer notre route vers les Andes. Je laissai à mon tour mes compagnons à Mendoza, et passai au Chili, puis au Pérou. Enfin, revenu à Valparaiso avec l’intention de m’embarquer pour l’Europe, je voulus revoir Santiago, la capitale du Chili. C’est une grande et belle ville, fort agréable à habiter, et celle de toute l’Amérique méridionale où l’Européen, le Français surtout, se trouve le moins dépaysé. Dans ce temps-là, on y vivait assez tranquille ; des soldats à cheval, qui stationnaient au coin de chaque rue, veillaient la nuit à la sécurité des habitans. Quand un assassinat était commis sur les routes, la justice savait mettre la main sur le coupable ; il était sévèrement puni, et, après avoir rasé sa maison, on y semait du sel, comme pour effacer jusqu’au souvenir du meurtrier. Les révolutions, il faut bien le dire, se succédaient encore à des intervalles infiniment trop rapprochés ; mais en général le peuple y prenait peu de part, et l’on ne voyait pas, comme aujourd’hui, les clubs promener sur les places publiques leurs bannières menaçantes. La population calme et insouciante se répandait en foule, vers les dernières heures du jour, sur les promenades, entre les belles rangées de peupliers (alamedas) au-delà desquelles la Cordilière des Andes dresse ses pics majestueux, couverts de neiges éternelles. Quelque gracieuses pourtant que soient ces alamedas rafraîchies par de petits ruisseaux aux ondes murmurantes et bordées en maints endroits de jardins où le pêcher fleurit à côté de l’amandier, le voyageur leur préfère encore la grande digue élevée pour contenir les eaux torrentielles du Mapocho et qu’on nomme le Tajamar. Qu’on se figure un quai long d’un mille, formant comme une esplanade d’où l’on domine une vallée étroite, adossée aux Andes et ombragée de grands arbres sous lesquels se cachent de blanches maisons et de jolis vergers. Les fières montagnes, amoncelées les unes au-dessus des autres, s’arrondissent à l’horizon en décrivant une courbe immense. Leurs sommets, découpés en vives arêtes, ressemblent à de gigantesques gradins qui marquent autant de zones diverses ; sur les plus bas, on distingue encore quelque trace de végétation, puis le rocher se montre à nu, et enfin l’œil s’égare sur des glaciers éblouissans de blancheur, que le soleil fait étinceler comme le diamant.

Je suivais un soir l’interminable route que trace le Tajamar ; le