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qu’elle a parcouru, et recule avant de franchir le dernier pas qui doit la livrer aux bras de son amant : l’homme qui se sent aimé peut-il se laisser abuser par le mensonge que Gabrielle appelle à son secours ? Quand elle parle d’oubli, Stéphane doit-il perdre toute espérance, et renoncer au bonheur qu’il a rêvé sans essayer de réveiller, de ranimer dans le cœur de la femme qu’il aime la passion qui se dit morte sans retour ? La résignation lui coûte si peu, il prend si promptement son parti, que le spectateur ne consent pas à voir en lui un homme sincèrement épris. Lorsqu’un mot change sa résolution, quand sa maîtresse, qui ne s’est pas donnée, mais qui s’est promise, le ramène à ses pieds et lui demande grace, l’auditoire accueille avec incrédulité cette subite métamorphose. Il y a en effet dans la conduite de Stéphane une contradiction, une inconséquence que sa jeunesse ne justifie pas. Si l’ignorance de toutes les ruses qu’une femme met en usage pour se défendre a pu le décider au mariage, s’il a pris au sérieux les conseils de Gabrielle, comment, si jeune qu’il soit, peut-il, une heure plus tard, se laisser désarmer par un mot ? Je veux bien que le cœur de l’homme soit chose mobile ; encore faut-il que les mouvemens du cœur s’expliquent par la passion. Dès que la passion disparaît, l’inconséquence devient inintelligible. Or, c’est là précisément ce qui arrive à Stéphane. Quand Gabrielle lui dit qu’il doit renoncer à elle, quand elle oppose au roman de leurs amours la réalité de ses devoirs, il se rend sans coup férir, et n’essaie pas de ressaisir la femme qui lui échappe et se rit de ses regrets ; — et une larme de Gabrielle efface toutes ses railleries ! Le spectateur ne consent pas à le croire. Quand Stéphane conçoit le projet d’enlever sa maîtresse et d’aller vivre seul avec elle, au bord de la mer, dans un village de Bretagne, l’auditoire se demande de quelle pâte est pétri cet étrange personnage, qui tout à l’heure n’aimait pas assez pour plaider sa cause, et qui maintenant renonce au monde entier pour la femme qui l’a traité avec une ironie si hautaine. Avec un pareil adversaire, le triomphe de Julien n’est pas difficile. Gabrielle, qui a vu la subite résignation de son amant, ne peut pas embrasser avec une confiance bien vive ses projets de solitude. Une affection si prompte à se décourager est pour le mari un puissant auxiliaire qui ôte à la lutte engagée toute valeur, toute signification.

Adrienne, placée par l’auteur près de Gabrielle pour représenter le cœur désabusé, la raison éclairée par l’expérience, est dessinée avec vérité. Son langage est bien celui d’une femme égarée par l’ennui, ramenée à l’indifférence par le besoin de repos. Quelle que soit pourtant la vérité d’un tel personnage, il ne pourra jamais jouer dans une comédie un rôle bien actif. Adrienne a beau ajouter à l’autorité de ses conseils l’autorité de son exemple, elle a beau dire à Gabrielle : Tu