Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/881

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le transport des pianos, mais, même celui de la musique et des livres nouveaux. En fait de littérature étrangère, les hommes vivent sur Voltaire, Rousseau et Montesquieu. Les femmes s’occupent de leurs enfans, de l’intérieur de leur maison, et conviennent, sans se faire qu’elles ne s’amusent guère. La Paz est peut-être la seule ville du monde où, sous une latitude aussi froide (la température moyenne est de 8 à 9 degrés Réaumur), on ne connaisse ni cheminées ni poêles. Le manque de comfort dans les, maisons est un obstacle plus grand qu’on ne pense aux rapports de la société. Pour se réunir dans un pays froid, il faut un salon bien chauffé, des fauteuils bien garnis, des tapis, bien épais ; je ne crois pas qu’il y ait de conversation possible quand on est assis sur une chaise de bois, fût-ce du bois doré, et c’est en général ce que l’on vous offre dans les maisons les plus riches de la Paz.

Pendant mon séjour à la Paz, je fus curieux d’assister à une réception du président de la république. Le général Santa-Cruz, chef de l’état bolivien à l’époque de mon voyage, était un homme de quarante ans, de taille ordinaire ; ses traits étaient prononcés, et l’expression de sa figure annonçait plutôt un administrateur qu’un homme de guerre. Tout se passa très sérieusement et assez dignement. Les fonctionnaires civils et militaires étaient, les uns en uniforme, les autres en habit noir, le tricorne sous le bras. Chaque groupe de fonctionnaires approchait du canapé du président, qui restait assis, et, après un profond salut, cédait la place à une autre députation. Les soirées du président étaient en général très simples ; elles se passaient entre quelques intimes, qui venaient là en bottes et en redingote. On y causait peu, le président lui-même écoutait plus volontiers qu’il ne racontait. Dans les salons boliviens ; on ne parlait guère de la situation politique du pays qu’avec un profond sentiment de tristesse et d’inquiétude pour l’avenir. C’est un sentiment qu’on retrouve dans presque toutes les républiques de l’Amérique du Sud, à quelque époque qu’on les visite.

Le gouvernement bolivien a fait traduire et a adopté le code Napoléon. Pour donner cours en Bolivie à cette monnaie de notre Europe, on l’a intitulé : Code Santa-Cruz. L’administration est également à la française : les mêmes ministres, les mêmes préfets, sous-préfets et maires (alaïdes), les mêmes tribunaux. La législature se compose de deux chambres élues, celle des députés et celle des sénateurs ; mais l’élection est à deux degrés. Les électeurs de paroisse, qui sont Indiens réunis aux métis et aux petits propriétaires, nomment des électeurs de département parmi un certain nombre de gros contribuables, et ceux-ci se rendent au chef-lieu du département, où ils nomment un député par soixante mille habitans.

En quittant la Paz, je laissai à gauche le chemin de Tyahuanaco, et m’en fus, à travers les montagnes, rejoindre les bords du grand lac de