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de coqs ; mais, à coup sûr, les qualités d’exécution, dont l’auteur avait fait preuve, n’y sont aucunement diminuées. Le second de ces deux tableaux représente Éros et Bacchus après boire, bras dessus, bras dessous, décrivant des zigzags dans les sentiers émaillés de primevères. Le petit dieu du vin ploie sous l’ivresse ; sa tête couronnée de pampre fléchit sur sa poitrine ; ses jambes ont perdu toute solidité ; la coupe et l’urne étrusques sont près de tomber de ses mains ; son compagnon qui s’est mieux conservé, le soutient, et, de sa main gauche étendue, il lui montre, le petit corrupteur, un bosquet où les nymphes dansent en rond. Cette composition est gracieuse, poétique, parfumée au souffle embaumé des lauriers roses du Pamisus. Le groupe d’Éros et de Bacchus est parfaitement agencé et d’un dessin qui rappelle les chairs si fermes et si potelées des deux enfans de la Jardinièrede Raphaël. Nous ne regrettons dans tout le tableau que la couleur des cheveux de l’Amour. Sans arriver à une teinte aussi fade, M. Gérôme pouvait, je crois, conserver l’opposition qu’il a introduite entre ses deux bambins.

L’Intérieur grec, puisque intérieur il y a, soulève de graves objections. Est-il permis à un artiste de représenter toute sorte de sujet à l’histoire de la peinture dit oui ; la morale de nos jours dit non. Léonard et Michel Ange ont fait chacun une Léda ; Titien une certaine nymphe couchée (je ne veux citer que les chefs d’œuvre), qui ne sont rien moins qu’orthodoxes ; je ne sache pas que ces grands hommes aient été accuses de corrompre leur siècle. Nous avouons même que leur sublime impudeur nous paraît beaucoup moins attentatoire à la morale que les mille petites infamies vêtues, les coups de vent, les culbutes et les jeux de mains dont on nous donne le ragoût journalier. D’autre part, Diderot, qui n’était pas un capucin, blâmait Boucher de ses nudités en disant : « J’aime les… nudités (le terme est plus précis) mais je ne veux pas qu’on me les montre. Ce mot est caractéristique et peint bien le besoin de décence que réclament nos mœurs jusque dans la débauche. Hypocrite ou non, cette décence veut être respectée. De même que certaines locutions autrefois admises ne peuvent plus se rencontrer sur les lèvres d’un homme bien élevé parlant dans une compagnie, de même sommes-nous choqués à bon droit de la liberté que prend M. Gérôme de venir articuler en plein salon un mot inconvenant. Ce mot est écrit à chaque coin de son tableau, si ce n’est dans le livret. Cette image de la volupté vénale était donc inadmissible en public, quand bien même M. Gérôme y eût mis le style de Michel Ange et la perfection de Léonard. M. Gérôme ; fera bien de ne pas pousser plus avant ses excursions dans cette voie, et nous nous permettrons également de lui conseiller de ne pas trop sacrifier à l’archaïsme et au goût néo-grec, qui parfois peuvent faire supposer disette d’imagination.