Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/981

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui qu’ils ne soient pas ce qu’ils sont. Il faut tenir à ses racines ou cesser d’être.

L’Angleterre se trouve maintenant à son tour en pleine crise ministérielle ; le cabinet de lord John Russell est tombé sous le coup d’inimitiés d’origine différente dont il ne s’était point assez gardé : on est encore à savoir comment on le remplacera. Il y a trois partis qui dessinent nettement sur la scène politique : les whigs, déchus d’hier, les peelites qui sont plutôt les anciens amis de Robert Peel et les continuateurs, de son système pratique que les champions d’une école absolue, enfin les protectionistes, qui soutiennent l’intérêt agricole, au préjudice duquel les whigs et les peelites défendent la liberté commerciale et la vie à bon marché. Lord John Russell a succombé sous la réunion de deux influences hostiles. Sa politique dans l’affaire de la hiérarchie romaine, le bill qu’il venait d’obtenir de sa dernière majorité parlementaire, lui avaient aliéné les catholiques sans lui attacher les partisans exaltés l’église établie, qui ne le jugeaient point assez rigoureux contre le papisme Les protectionistes, de leur côté, ne lui pardonnaient pas d’avoir accepté sans réserve l’héritage de sir Robert Peel, et quoiqu’ils soient eux-mêmes incapables de prendre le pouvoir pour en revenir aux anciennes lois sur les céréales, ils s’irritaient assez à leur aise de ce que le cabinet whig n’en faisait pas plus qu’ils ne sont après tout, en état de faire. Engagés devant leurs électeurs des comtés par les promesses de l’agitation agricole, ils s’indignaient de la maigre satisfaction qui leur avait été donnée dans le discours de la couronne par une simple allusion aux souffrances des fermiers. Ils étaient les adversaires naturels du cabinet sur le plus grand nombre des questions en jeu, excepté cependant sur la question religieuse, sur la question à tolérance, où ils se prononçaient encore pour la plupart comme les vieux tories, dont les restes se sont fondus avec eux. Les Irlandais au contraire, depuis si long-temps les alliés assurés, des whigs dans toutes les questions d’émancipation et de liberté, ont été rejetés par lord John Russell parmi les plus ardens adversaires du cabinet. La lettre à l’évêque de Durham les avait détachés d’avance, et ils étaient décidés à voter quand même en toute circonstance, fût-ce avec leurs antagonistes ordinaires, contre l’homme d’état qui avait si mal à-propos blessé leur religion. La lettre à l’évêque de Durham est entièrement entrée pour plus encore que le bill des prélats catholiques dans la défaite de lord John Russell. À quoi cette défaite mènera-t-elle- ? Les protectionistes ne peuvent ni rétablir les lois sur les céréales, ni aggraver les lois contre les catholiques. Sans cette double faculté, leur présence aux affaires n’aurait pas de sens ; voilà pourquoi lord Stanley paraît avoir renoncé à former un cabinet. Lord John Russell ne peut plus penser à renouveler le sien en gardant le gouvernail : sir James Graham, le second de sir Robert Peel, se trouve presque porté par la force des circonstances pour introduire un cabinet mixte et transitoire qui éviterait la nécessité immédiate d’une dissolution des communes.

Nous n’avons certainement pas à prendre le deuil de la chute de lord Palmerston, nous ne pouvons cependant nous empêcher de songer avec quelque peine que la déconfiture des whigs sera regardée comme un triomphe de plus par l’Europe absolutiste, qui se reforme derrière l’Autriche avec un succès si fort