du Rhin suppose dans l’écrivain qui les invente, et dans les lecteurs qui s’y complaisent, une surprenante sympathie pour les prestiges de la sculpture mobile. Ouvrons les Tableaux de nuit d’Hoffmann par exemple ; que voyons-nous dans l’Homme au sable ? Un jeune étudiant, auditeur assidu des cours de philosophie et de physique, appartenant à une honnête famille d’une ville de province, fiancé à une douce et aimable compagne de son enfance, qui devient tout à coup amoureux fou d’une froide et élégante automate. En France ou en Angleterre, sous la plume de l’auteur de Zadig, de Gulliver ou d’Acajou, une donnée aussi fantasque n’aurait pu que servir de texte à une série d’épigrammes plus ou moins piquantes. En Allemagne au contraire, il est sorti de cette conception bizarre une histoire sérieuse, attachante, presque vraisemblable. Ce n’est pas qu’en y regardant de près, on ne puisse apercevoir un grain d’ironie au fond de la nouvelle allemande ; mais cette nuance de léger persiflage disparaît presque entièrement sous la parfaite ingénuité du récit. L’auteur parvient sans peine, par le seul effet d’une analyse scrupuleuse et sagace, à nous faire comprendre et presque partager l’impression vertigineuse que jette dans les sens troublés de Nathanaël chaque tressaillement de cette poupée presque vivante, créature équivoque, produit de combinaisons occultes, mélange de bois et de cire, de poulies cachées, et peut-être… oui, peut-être aussi de quelques gouttes de vrai sang. Il nous est presque aussi difficile qu’au jeune étudiant de nous détacher de l’inquiète contemplation de cette dangereuse beauté, dont la parole monosyllabique, la marche saccadée, le chant pareil aux sons de l’harmonica, l’œil tantôt fixe et comme éteint, tantôt lançant un éclair électrique, la taille cambrée et un peu raide, mais, au signal de l’orchestre, mollement docile au rhythme pressé d’une valse enivrante, entraînent peu à peu le pauvre visionnaire dans l’abîme du vertige, de l’hallucination et de la tombe. Et qu’on ne compare pas l’attraction magnétique qui saisit et fourvoie Nathanaël à l’amour, comparativement naturel et sensé, de Pygmalion pour l’œuvre de son ciseau. Non, Olympia ne tient pas, comme Galatée, au cœur de son amant par les fibres si profondément sensibles de la parenté de l’art. Au contraire, l’œuvre séduisante et presque accomplie du physicien Spallanzani et de l’opticien Coppola fascine précisément Nathanaël par ce qu’elle a de mystérieux, de singulier, d’inexplicable. Ce n’est, je crois, qu’en Allemagne, ce pays des rêves, que pouvait naître l’étrange dessein de mêler d’une manière aussi intime la vie plastique à la vie réelle. Je sais combien il est périlleux pour la critique de chercher à interpréter les conceptions d’une muse étrangère, et surtout celles de la muse allemande. Cependant je ne puis m’empêcher de reconnaître et de signaler dans la préoccupation qui égare et finit par perdre Nathanaël le penchant personnifié des races septentrionales pour la sculpture mécanique, et,
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