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des Minnesinger avec cette signification claire et manifeste. Ulrich von Thürheim, dans son poème sur Guillaume d’Orange, a écrit ce vers remarquable, qui rappelle une jolie pièce de Swift (the Puppet-Show), que nous avons traduite[1] :

Der warlde wroude ist tokken spil[2],
« La joie du monde est un jeu de marionnettes. »

Un autre minnesinger, dont Manesse a réuni les fragmens, s’est servi, dans un passage qui se rapporte à l’année 1253, du mot déjà populaire de Tokken-Spil, pour stigmatiser l’influence abusive exercée par la papauté sur les électeurs de l’empire :

« Tout se passait bien, dit le poète, dans l’élection de l’empereur, quand les princes la faisaient librement ; mais elle n’est plus que l’ouvrage des prêtres italiens, qui vendent la bénédiction et le baptême. La couronne écherra au Stouphen. Conrad réglera à Rome le sort du comte de Hollande. Dans cette négociation, Jérusalem, son héritage, sera le prix du marché[3]. Le pape a soif de territoires ; l’Italien joue avec les souverains de l’Allemagne, comme un jongleur avec des marionnettes.

Als der Tokken spilt der Welche mit Tutschen Vürsten ;


il les impose et les dépose, suivant les dons qu’il attend d’eux ; il les pousse dans tous les sens, comme une balle dans un jeu de paume[4]. »

Cette raillerie piquante, adressée par un poète du XIIIe siècle à Innocent IV, a été renouvelée, quatre siècles plus tard, dans un facétieux emblème dirigé contre Louis XIV. Entre autres gravures satiriques auxquelles donna lieu la guerre de la succession, il en existe une qui représente une main sortant d’un nuage et tenant une marionnette à chaque doigt. Ces petites figures portent le costume et les attributs des princes de l’empire, alliés dociles du roi de France. On lit au bas cette devise : In te vivimus, movemur et sumus[5].

Quant à la nature des pièces que les anciens jongleurs allemands faisaient représenter, par leurs marionnettes, nous ne pouvons émettre à cet égard que des conjectures. À en juger par la vignette du manuscrit de Herrade de Lansberg, que nos lecteurs connaissent[6] et qui offre

  1. Revue des Deux Mondes (les Marionnettes en Angleterre), 1er juin 1851, p. 817.
  2. Wilhelm der Heilige, von Oranse, Erster Theil, edente Casparson, p. 16. La seconde partie de ce poème a été composée par Wolfram d’Eschenbach.
  3. Conrad était héritier titulaire de Jérusalem du chef de sa mère.
  4. Voyez Von der Hagen, Minnesinger, etc., t. II, p. 351, et la notice sur l’auteur, t. IV, p. 661-664. Cf. Manessesche Sammlung, t. II, p. 220.
  5. Cet emblème a été reproduit dans un livre assez curieux, Abhandlung von der Fingeren… (Traité des doigts, de leurs fonctions et de leur signification symbolique), Leipzig, 1756, in-8o, p. 85. La devise est tirée des Actes des Apôtres, XVII, 28.
  6. Revue des Deux Mondes (les Marionnettes au moyen-âge), n° du 1er août 1850, p. 443 et 444.