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IV. – DRAMES RELIGIEUX REPRESENTES HORS DES EGLISES, SOIT PAR DES CORPORATIONS D’ARTISANS, SOIT PAR DES MARIONNETTES.

Malgré le maintien de quelques jeux dramatiques dans les églises, on peut dire que les faits de ce genre ne constituaient que des exceptions rares et purement locales, et qu’à partir du concile de Trente, la règle fut la suppression de ces abus. Une des conséquences tout-à-fait imprévues qu’amena ce changement dans la discipline ecclésiastique, fut de répandre au dehors et de multiplier, sur une échelle immense, les représentations que donnaient, depuis quelque temps, des associations mi-parties de clercs et de laïques. Le peuple, privé des enseignemens récréatifs qu’il aimait à recevoir du clergé, les demanda avec instance, dans les grandes villes, aux échafauds des confréries, et, dans les villages, aux boutiques de marionnettes. Le grand promoteur de la réforme lui-même, Luther, en mettant, par sa version allemande de la Bible, l’Écriture sainte entre les mains de toutes les classes, surexcita involontairement la passion du peuple et des corporations d’artisans pour les grandes représentations religieuses. D’ailleurs, il est juste de reconnaître que Luther ne prohibait pas d’une manière absolue le jeu des mystères. Ce grand esprit, que n’avait pas desséché la controverse, conservait, par un heureux désaccord entre ses inclinations et ses doctrines, un vif sentiment de la poésie et des arts. Après avoir écrit et prêché contre les images ; il s’opposa, avec une louable inconséquence, à leur destruction violente. Il déclare quelque part la musique un des plus magnifiques présens de Dieu[1]. Il a composé des cantiques qui l’ont fait surnommer par Hans Sachs le Rossignol de Wittenberg[2]. Consulté un jour sur ce qu’il fallait penser des représentations par personnages tirées de l’Écriture sainte, dont plusieurs ministres condamnaient l’usage, il fit, le 5 avril 1543, cette belle réponse[3] : « Il a été commandé aux hommes de propager le verbe de Dieu par tous les moyens, non-seulement par la parole, mais par écriture, peinture, sculpture, psaumes, chansons, instrumens de musique. Moïse, ajoute-t-il excellemment, veut que la parole se meuve devant les yeux[4]… »

  1. Mart. Luther, Werke (Wittenberg, 1539), t. II, p. 13 et 58 ; Briefe, ed. Leberecht de Wette, Berlin, 1825 ; décembre, 1521 ; m. 3 vol. in-8o. Il admit les images même dans le temple de Wittenberg. Briefe, 14 mai et 16 juillet 1528 ; 11 janvier 1731 ; Voyez M. Michelet, Mémoires de Luther, t. II, p. 130, 155, 286 et t. III, p. 115.
  2. C’est le titre d’une des meilleures pièces lyriques de Hans Sachs.
  3. Luther, Briefe, t. V, p. 553.
  4. Deuter., cap. VI, v. 8 et 9. L’application que Luther fait de ce passage aux représentations par personnages est belle et poétique assurément ; mais elle va, je crois, bien au-delà de la pensée du texte hébreu que lui-même il a rendue fort exactement dans sa traduction de la Bible.