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père, touché du repentir de l’enfant égaré, lui accordait son pardon[1].

Reibehand eut pour émule un certain Kuniger, né à Leipzig, qui, après avoir commencé par être équilibriste et joueur de gobelets, ouvrit un spectacle de marionnettes, et prit, en 1752, la direction d’un vrai théâtre, muni de grandes machines mobiles et d’acteurs vivans. Cette troupe portait le nom de comédiens privilégiés des cours de Brandebourg et Brandebourg-Bayreuth. Entre autres drames à grand spectacle que Kuniger fit représenter à Hambourg, on cite la Vie et la mort de sainte Dorothée, martyre pleine de constance. L’annonce avait bien soin d’avertir « qu’il y aurait dans la pièce assez de décorations et de machines pour satisfaire les yeux les plus exigeans, et qu’on ne pourrait rien voir de plus terrible. » Il est vrai que les scènes de martyre, dont l’exécution est si difficile pour des acteurs vivans, offrent de grandes facilités aux joueurs de marionnettes. Cette circonstance toute technique explique la prédilection des Puppen-Spieler pour les sujets de ce genre, et en particulier pour la légende de sainte Dorothée, dont la décapitation faisait ressortir leur adresse. M. Schütze raconte un incident qui signala d’une manière assez plaisante la représentation d’une des nombreuses pièces de marionnettes composées sur ce sujet. On jouait un soir à Hambourg, dans l’auberge des cordonniers, près le marché aux oies, en face du grand théâtre, le drame intitulé les Joies et les souffrances de Dorothée. La pièce fut accueillie par les applaudissemens unanimes de l’auditoire plébéien, et obtint même des marques de satisfaction de plusieurs spectateurs d’une classe plus relevée. La scène de la décapitation surtout fut si bien rendue, que l’assemblée tout entière cria bis, et aussitôt le complaisant directeur replaça la tête sur les épaules de la sainte, et la décollation eut lieu une seconde fois, au milieu des bravos frénétiques de toute la salle[2].

Nous avons vu que les Haupt-und Staatsactionen ne puisaient pas seulement leurs sujets dans toutes les sources anciennes, sacrées ou profanes ; elles exploitaient encore les événemens modernes, et se jetaient sur tous les grands noms, témoin celui de Wallenstein. Elles n’épargnèrent pas davantage ceux de Marie Stuart, du comte d’Essex et de Cromwell. Enfin à peine l’Alexandre du Nord, Charles XII, fut-il tombé dans la tranchée de Frederichshall, sous le coup d’une balle ennemie, ou, pour parier la langue de la superstition populaire, sous le coup d’une balle enchantée (eine Freikugel), que les faiseurs de Haupt-Actionen s’emparèrent de ce héros, sûrs d’attirer la foule au spectacle de sa fin tragique. Nous avons pu lire une de ces pièces,

  1. Schütze, ouvrage cité, p. 83. – Prutz, ibid.
  2. Schütze, cité par M. Prutz. Ce récit de M. Schütze paraît se rapporter à 1705.