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MARGUERITE. — La tendre et simple Marguerite appartient tout entière à Goethe, et le germe même n’en apparaît dans aucune pièce de marionnettes. C’est à peine si, dans une seule, celle des marionnettes de Cologne, dont quelques parties sont assez récentes, la jeune Bärbel, maîtresse du valet de Faust, présente quelques lointaines ressemblances avec l’angélique création de Goethe. Bärbel, comme Marguerite, ressent pour Méphistophélès une répulsion instinctive. — « Quels sont ces deux vilains hommes noirs ? A leur vue j’ai failli mourir de terreur. — Ces hommes ne doivent pas reparaître devant mes yeux… » Je m’arrête ; ces courts rapprochemens suffisent pour démontrer à quel point le génie de Goethe possédait la faculté de féconder, en se les assimilant, les pensées, les incidens, les images qui entraient dans le cercle de son activité et de ses conceptions.

Je regrettais tout à l’heure que ce grand génie n’eût pas appliqué à la partie intérieure et spirituelle, à l’ame en quelque sorte si naïvement chrétienne de la légende de Faust, la puissance de développement sympathique qu’il a appliquée avec tant d’éclat à la forme extérieure. Comment n’a-t-il tiré aucun parti de ces deux anges, bon et mauvais conseillers, qui, dans toutes les pièces de marionnettes, se tiennent aux côtés de Faust, soit sous leur forme naturelle, soit sous la forme symbolique de colombe et de corbeau ? Comment surtout n’a-t-il pas conservé ces voix formidables, qui, à chaque pas qui le rapproche de l’abîme, lui apportent un salutaire et terrible avertissement : Fauste, Fauste ! prœpara te ad mortem ! — Fauste ! accusatus es ! — Fauste, Fauste ! in otenum damnatus es ? Encore s’il s’était tenu dans une opinion unique, et grande au moins par cette unité ; mais non : il flotte entre des systèmes qui ne sont même pas à lui. Sceptique dans son premier Faust comme le XVIIIe siècle, il semble chercher dans le second Faust à poétiser la formule du panthéisme hégélien. Sans doute, ce beau génie a usé de ses droits de poète en imprimant souverainement à son œuvre le cachet de sa personnalité et celui de son temps, et il l’a fait avec un art et une grandeur infinis. Toutefois il reste encore après lui un Faust possible à créer, un Faust où l’artiste devrait faire énergiquement valoir les belles parties de la légende et des Puppen-Spiele que Goethe a volontairement sacrifiées… Au moment où j’exprimais ces pensées, il m’est arrivé à l’improviste un vaillant auxiliaire, je veux parler de l’intéressante communication de M. Henri Heine, qui n’a échappé à aucun des lecteurs de cette Revue. Non-seulement, dans ce beau travail, le grand poète nous fait presque assister au merveilleux ballet de Méphistophéla. qu’il avait préparé, à la demande de M. Lumley, pour l’Opéra de Londres ; mais l’habile critique interprète le mythe de Faust avec une sagacité toute magistrale. Lui aussi est convaincu que Goethe n’a pas épuisé toutes les