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fait un exemple sur un malhonnête homme, et il répondit : « La philosophie deviendrait une chose stérile et même nuisible, si elle nous empêchait de veiller à nos affaires et de nous occuper de notre prochain. »

Pour mettre en pratique sa nouvelle règle de conduite, le marquis prit l’habitude de se lever matin et de consacrer trois ou quatre heures avant le déjeuner à parcourir les environs de sa villa. On lui sellait un mulet exercé à franchir les torrens, et, sur cette monture paisible, il s’enfonçait dans les montagnes de Gallidoro, pays sauvage et pittoresque, où l’incroyable fécondité de la nature ne produit, faute de bras, que désordre et encombrement. Le seigneur Germano ne rencontrait pas une métairie ou une cabane sans y entrer et s’informer comment on vivait là-dedans ; quand il y trouvait le découragement et la misère, il donnait aux pauvres montagnards des secours et des conseils, et ne s’en allait point sans avoir obtenu d’eux la promesse de secouer leur inertie. Dans une de ces promenades matinales, le marquis aperçut, au bord d’un torrent enflé par les pluies du printemps, une grande et belle fille de dix-huit ans qui cherchait l’endroit favorable pour passer le gué ; elle n’avait pour tout vêtement qu’une chemise longue, et déjà elle mettait un pied dans l’eau lorsqu’elle s’arrêta en voyant arriver quelqu’un. — J’espère, mon enfant, lui dit le cavalier, que vous n’allez pas vous plonger dans cette eau glaciale.

— Si fait, seigneur marquis, répondit la jeune fille. Que votre excellence passe la première, et je serai sur l’autre rive presque aussitôt qu’elle.

— Voilà comme on gagne des maladies, ma belle. Puisque tu me connais, monte en croupe à côté de moi. Nous passerons ensemble.

Sans plus de façons, la jeune fille posa son pied nu sur celui du cavalier, saisit le pommeau de derrière de la selle et sauta d’un bond sur la croupe du mulet. Lorsqu’elle eut arrangé décemment sa chemise sur ses jambes en manière de jupon, elle s’appuya d’une main sur l’épaule du seigneur Germano, et le mulet se mit en marche. De l’autre côté du torrent, le marquis dit à sa compagne : — Tu es mieux là que parmi les pierres et les ronces, ma mie. Restes-y ; je te mènerai chez toi ; cela te reposera, et, chemin faisant, tu me raconteras ce que fait ton père, comment il se nomme, s’il a beaucoup de famille et si on est heureux à la maison.

— Mon père, répondit la jeune fille, est le pauvre Matteo, fermier de votre excellence. Plus d’une fois il m’a dit : « Zita, va porter du lait et des oeufs à la villa Germana. » Et j’ai eu l’honneur de voir votre seigneurie dans son jardin par la fenêtre de la cuisine. Notre famille n’est pas nombreuse. Mon père n’a d’autre enfant que moi, et il a tant grondé ma mère de ne lui avoir point donné un garçon pour l’aider