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point un fainéant. Il fait le service de messager entre Taormine et Randazzo, et deux fois par semaine il passe dans ces montagnes pour prendre les commissions des métayers. Je l’ai rencontré souvent en gardant mes chèvres, et, je ne sais comment cela est venu, je me suis aperçue qu’il me plaisait un peu, et puis davantage, et enfin tout-à-fait. Il n’en sait rien encore, car je n’en conviens pas avec lui, de peur qu’il n’ait plus autant de zèle à me parler de son amour.

— Sicilienne que tu es ! Comment se nomme ton amoureux ?

— Carlo, excellence ; Carlo, pour la servir.

— Es-tu bien sûre de l’aimer ?

— Très sûre, excellence. Je me suis attachée à lui parce que je le connaissais. N’est-il pas juste d’aimer ceux qu’on voit souvent ? A l’idée d’en épouser un autre, j’éprouve un serrement de cœur, et quand je pense à Carlo, je le trouve beau comme un dieu.

— Le drôle ! murmura le marquis ; il est aimé ! Il aura là une femme parfaite, un vrai chef-d’œuvre. Quels yeux ! quelle taille ! droite comme un cierge ! et quelle voix !… une poitrine d’acier ! O Sicile, tes fruits sont beaux, mais trop rares, hélas ! — Sois tranquille, Zita ; tu épouseras ton Carlo. Je l’enverrai chercher à Taormine, et je le présenterai demain à ton père. Va, retourne à la maison, et dors paisiblement, figghia mia. Je veux que tu sois contente.

Le muletier Carlo avait son écurie au village des Jardins, situé sur la grand’route de Messine à Catane, au pied du roc escarpé que domine l’antique Tauromenium. Un domestique en livrée lui vint dire que le marquis avait à l’entretenir d’affaires importantes. On lui donna une place à côté du cocher sur le siège d’un fourgon de campagne ; un couple de chevaux fringans le conduisit en deux heures à douze milles de son village. Il ouvrit de grands yeux, en voyant, au bout d’une avenue de platanes, la façade mauresque de la villa Germana, la pièce d’eau où se baignaient des nymphes de bronze, et l’escalier en fer à cheval surmonté du péristyle orné de colonnettes et de trèfles percés à jour. Le luxe des appartemens l’étonna bien plus encore : ce n’était partout que soie et velours. Carlo voulait ôter ses souliers de peur d’user les mosaïques, et si le marquis n’eût pas joui dans la contrée d’une réputation de bon chrétien, le muletier l’aurait pris pour un sorcier, tant il y avait de livres dans son cabinet et de ramages sur sa robe de chambre. De son côté, le seigneur Germano parut examiner Carlo avec curiosité.

— Par Bacchus ! dit-il, voilà un solide gaillard. Quelles épaules ! quelles jambes ! Viens un peu devant cette glace, mon garçon, que je voie lequel de nous deux est le plus grand. Tu as un pouce de plus que moi. C’est à merveille. La Zita t’appartient de droit.

— Monseigneur, répondit le muletier, il ne faut point se fier aux