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n’en avais pas grande envie ; mais on se lasse de vivre dans les cafés, et j’ai pris cette bagatelle en attendant mieux.

— Vous êtes un homme de qualité, riche, puissant, bien apparenté, admirable et supérieur au reste des mortels, comme tous les Napolitains ; mais voyons votre brevet.

— Je l’ai laissé à Taormine.

— Cela est fâcheux pour vous. Tant que je n’aurai point reçu l’avis de ma destitution, je puis et je dois me considérer comme titulaire. Vous allez, s’il vous plaît, me livrer les bagages et dépêches.

— Rien ne presse, reprit le Napolitain. Causons encore un moment ; nous nous entendrons comme une paire d’amis et de compatriotes. J’aime les Siciliens…

— Oui, interrompit Carlo, le matin et dans les chemins creux ; à la ville, c’est autre chose. Je ne suis pas votre ami. Quant à votre compatriote, cela vous plait à dire. Je ne sais guère de géographie, mais je pensais que nous étions sur un de ces morceaux de terre environnés d’eau qu’on appelle des îles, si j’ai bonne mémoire.

— Votre mémoire, répondit le Napolitain, est égale à votre esprit. J’ai ouï dire aussi que les hommes avaient inventé des machines de bois qui voguaient sur la mer et qui servaient à passer du continent sur ces morceaux de terre entourés d’eau. Cela s’appelle, je crois, des bateaux.

— Tu as bien retenu le nom de ces machines maudites. Maintenant que tu as déployé autant d’instruction que de finesse, rends-moi mes dépêches.

— Les hommes, reprit Francesco, ont encore imaginé un ustensile de fer aiguisé qu’on appelle couteau, et qui sert à se défendre contre les voleurs de grands chemins.

Le Napolitain tira en effet de sa poche un couteau ; mais, avant qu’il se fût mis en posture de combattant, Carlo lui saisit le bras et le prit à la gorge.

Mo ! mo ! cria Francesco. Reste tranquille. Voici tes dépêches ; emporte-les et fais-en tout ce que tu voudras.

Carlo jeta le couteau dans les broussailles, transporta brusquement les bagages d’un mulet sur l’autre, et partit en poussant un hurrah Victorieux. Son triomphe ne fut pas de longue durée. Francesco ne manqua pas d’aller raconter à Taormine comment le brigand Carlo, assisté d’autres bandits armés jusqu’aux dents, l’avait couché en joue avec une espingole chargée à mitraille. Après une résistance héroïque, il avait dû céder, bien malgré lui, au nombre et à la violence. Lorsque maître Carlo revint aux Jardins, il y trouva un sergent et un gendarme qui lui commandèrent de les accompagner à Taormine. Sans