Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’affaissa, comme écrasé par quelque pensée désolante. Il s’assit et finalement se coucha les bras en croix, la face contre terre. Des sanglots sortaient de sa poitrine, et il couvrait de baisers la pierre de l’antique porte d’Épipolis. Maître Carlo crut devoir avertir le patron que l’heure de l’Angelus approchait. Le marquis se releva, et la gaieté lui revint en passant le pont-levis de la Syracuse moderne, qui n’est autre que l’ancien quartier d’Ortigia. À l’auberge del Sole, le seigneur Germano choisit de bonnes chambres, et il sortit à pied pour voir la ville. Au bout d’une demi-heurette, Carlo le retrouva, les coudes appuyés sur le parapet de la fontaine Aréthuse, engagé dans une escarmouche de quolibets avec une douzaine de laveuses plongées dans l’eau jusqu’au genou.

Le mezzo-matto, étant peu connu à Syracuse, ne fut point gêné par ses antécédens de savant, d’homme sage et de grand seigneur pour s’y faire une belle réputation de fou. On le prit tout de suite pour ce qu’il voulut paraître. On s’amusa de ses allures d’écolier en vacances, de son langage incohérent et du cortége bohémien qu’il traînait après lui. Le limonadier de la rue Maestranza, chez qui on venait recueillir les propos du mezzo-matto afin de les colporter, gagna beaucoup d’argent. Un matin, le plus habile médecin du pays, qui n’en savait pas long, raconta chez le limonadier qu’un ouvrier du port était mort d’une maladie qui ressemblait au choléra. Ce fait inquiétant amena la conversation sur les souvenirs funèbres de la première invasion du fléau. On se rappela qu’en 1837 Palerme avait perdu le tiers de sa population, et que, sous le prétexte absurde d’empoisonnemens, on avait massacré vingt personnes à Syracuse même. Cela dit, la compagnie se dispersa, et chacun s’en alla de son côté répandre l’alarme dans la ville.

Depuis peu de jours, on voyait dans les rues de Syracuse un pauvre Napolitain qui parcourait la Sicile en jouant de la cornemuse. Cet homme était maître en son art et donnait des leçons à 2 sous le cachet aux chevriers siciliens. Le zampognaro jouait aussi devant les hôtels et les trattorie pour le divertissement des étrangers. Le soir même du jour où des bruits de choléra s’étaient répandus dans la ville, il soufflait ses morceaux de choix devant l’auberge del Sole. Notre marquis, étonné du goût que montrait cet homme et du parti qu’il savait tirer de son instrument, se mit à la fenêtre pour voir quelle mine avait ce virtuose ambulant. Il reconnut une de ces mâles figures napolitaines dont la misère, les privations, les brûlures du soleil et la malpropreté ne détruisent jamais le caractère de beauté classique. Le Napolitain, appuyé du coude contre le mur, les jambes croisées, son manteau en loques drapé comme celui d’un empereur, enflait les sons de sa zampogna en artiste consommé. Son air doux, intelligent, patient