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en cette circonstance par M. Alcock aux tristes résultats qu’avaient amenés à Canton les tergiversations de M. Davis. Ce parallèle avait au moins un côté injuste. Le plénipotentiaire et le consul n’avaient point eu à se mouvoir sur le même théâtre. Il fallait tenir compte de l’inégalité des conditions que leur avaient faites les positions si différentes des ports de Shang-hai et de Canton, les instincts pacifiques des habitans du Kiang-nan et l’humeur turbulente des Cantonnais. Une étude impartiale de ce contraste si remarquable entre la Chine du nord et celle du midi eût fait ressortir l’opportunité des mesures vigoureuses dès qu’on pouvait atteindre, même indirectement, le gouvernement mantchou, — la nécessité d’une politique conciliante quand on devait, au contraire, se heurter aux résistances provinciales.

Si les diplomates européens se trouvent mal à l’aise sur le terrain scabreux où les transporte l’étrangeté des coutumes chinoises, l’embarras des mandarins n’est pas moins grand quand ils doivent exercer leur mission dans les cinq ports dont l’accès a été ouvert aux barbares. Le taou-tai de Shang-hai occupe, comme le vice-roi de Canton, un des postes les plus lucratifs, mais aussi une des situations les plus précaires du Céleste Empire. Il lui faut garantir la sécurité des résidens étrangers en dépit de leurs continuelles imprudences, et complaire aux désirs souvent irréfléchis des consuls sans exciter les ombrages de la cour impériale. D’autres devoirs engagent encore la responsabilité du taou-tai : c’est à lui qu’il appartient d’assurer le transport des impôts de la province ; c’est lui qui doit protéger le commerce maritime contre les pirates, auxquels l’archipel de Chou-san offre des retraites assurées. Le mandarin qui, à l’époque du passage de la Bayonnaise à Shang-hai, remplissait dans ce port les importantes fonctions de taou-tai était d’origine tartare. Ce nouveau dépositaire des volontés de la cour de Pe-king avait promis d’honorer la Bayonnaise de sa présence. Sa visite suivit de près celle de M. Alcock. Vers une heure de l’après-midi, le fracas du gong et les hurlemens des licteurs vinrent nous annoncer que, fidèle à ses engagemens, son excellence Lin-kouei ne tarderait point à paraître. Dès que la chaise de ce haut fonctionnaire déboucha sur le quai de la douane, une salve de neuf coups de canon paya au mandataire du céleste empereur le premier tribut de notre courtoisie. Un de nos canots venait de transporter à terre M. Alcock : ce fut dans ce canot que s’embarqua, pour se rendre à bord de la corvette française, le taou-tai Lin-kouei, mandarin de troisième classe, au bouton bleu transparent, commandant de la milice dans les trois départemens de Sou-tcheou-fou, Song-kiang-fou et Thaï-tsang-fou, par ordre suprême surintendant des droits maritimes dans la province du Kiang-sou[1], inspecteur des droits sur le sel et sur le

  1. L’ancienne province du Kiang-nan a été subdivisée, à cause de son importance, en deux provinces distinctes, le Kiang-sou et le Ntan-houei.