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les Chinois qui ne sont plus chez eux. Plus humbles que les Juifs de l’Orient, on ne les voit jamais se redresser sous l’insulte ; ils fuient comme un troupeau de daims devant le moindre couli revêtu de la livrée consulaire. On n’est obligé à quelques égards qu’envers les colons du Fo-kien, que l’on reconnaît encore mieux à la fierté de leur physionomie qu’à la tresse de cheveux et à la ceinture qu’ils tournent en guise de turban autour de leur tête. Ces Fo-kinois, bateliers pour la plupart, ne baiseraient point, comme les Chinois dégénérés de Shanghai, la main qui oserait les frapper ; ils rendraient hardiment coup pour coup : on le sait et on les respecte. Pourvu que l’on ait soin de ne point se faire de querelle avec ces colons d’humeur peu accommodante, en pourra s’égarer impunément de nuit et de jour dans les rues de Shang-hai sans courir d’autre risque que celui d’être obligé parfois de battre un homme à jeu sûr, ce qui, suivant la remarque judicieuse de Sosie, ne convient guère à une belle ame.

Shang-hai renferme plus de trois cent mille habitans. Cette ville populeuse : n’est cependant qu’une sous-préfecture, un hien. La Chine compte douze cent soixante-dix-neuf de ces villes de troisième ordre, deux cent trente-sept tcheous, chefs-lieux de préfecture, et cent quatre-vingt-dix-huit fous, cités plus importantes encore, dans lesquelles réside souvent, comme à Canton ou à Sou-tcheou, l’administration centrale de la province. Toutes ces villes, les hiens aussi bien que les tcheous et les fous, sont entourées d’une enceinte fortifiée. L’enceinte de Shang-hai, sans y comprendre les vastes faubourgs qui s’étendent sur les bords du fleuve, a cinq ou six milles de circuit. Crénelés et flanqués de bastions, ces remparts, dont la hauteur ne dépasse pas huit ou neuf mètres, ne sont protégés par un fossé que du côté de la campagne. Ils n’ont jamais été destinés à recevoir de l’artillerie, car sur plusieurs points les maisons touchent presque la muraille. De pareils boulevards, écroulés en partie ou sillonnés par de profondes crevasses, ne pouvaient arrêter une armée anglaise. Aussi, en 1842, les mandarins n’essayèrent-ils pas de les défendre. Ils évacuèrent la ville, où les Anglais pénétrèrent sans coup férir. Au dire de nos missionnaires, qui a vu une ville chinoise les a vues toutes. Il est certain que l’aspect de Shang-hai diffère peu de celui de Canton. N’y cherchez point de beaux quais, des édifices imposans, des rues alignées au cordeau. Dès que vous aurez dépassé les limites du terrain accordé à la communauté anglaise, vous ne trouverez sur les bords du Wampou qu’un talus fangeux supportant d’horribles masures minées par les eaux et tombant de vétusté. Dans l’intérieur de la ville, des rues sales, étroites et tortueuses se croisent et s’enchevêtrent de telle façon qu’il faut de longues études pour apprendre à se reconnaître au milieu de ce labyrinthe. Du reste, nulle régularité dans l’alignement des maisons, point