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remonte donc, on le voit, en Chine à la plus haute antiquité, et tout fait présumer que ce vaste empire a connu, avant l’invasion des superstitions indiennes, des temps plus prospères, — on pourrait presque dire un état de civilisation plus avancé.

Ces curieux détails, recueillis à la hâte, souvent entrecoupés par d’autres dissertations, furent le butin d’une journée que nous n’eussions point manqué de prolonger, si nous avions eu, comme Josué, le don d’arrêter le soleil, ou, comme Moïse, le pouvoir de suspendre l’action de la marée. Nos regrets nous retinrent même trop long-temps à Su-ka-wé, car plus d’un passage difficile ne fut, point franchi sans peine par notre lourde embarcation, et il était près de neuf heures quand nous rejoignîmes la Bayonnaise.


IV

En arrivant à bord de la corvette, nous trouvâmes des lettres d’invitation qui nous avaient été adressées par le chef d’une famille respectable, chrétienne depuis deux cents ans. La lettre destinée au commandant de la Bayonnaise portait sur sa longue enveloppe rouge une bande de même couleur constellée d’hiéroglyphes, chef-d’œuvre de calligraphie chinoise, dont la traduction eût embarrassé la modestie d’un homme moins habitué aux formules pompeuses du Céleste Empire. Le peuple chinois est le peuple le plus poli du monde, s’il n’est le plus honnête. La lettre en question était donc adressée au « grand commandant militaire des forces navales françaises… grand personnage. » Le caractère ta s’y trouvait reproduit deux fois. Nos missionnaires, que les chrétiens chinois révèrent presque à l’égal de la Divinité, ne sont presque jamais désignés par eux que sous le nom de ta-ta (magnus-magnus). Quand le grand commandant militaire eut brisé le sceau qui fermait cette enveloppe, il trouva un petit volume composé de dix feuillets. Sur la première page était inscrit un seul caractère assez semblable à un E majuscule, touchante et modeste inscription qu’un des missionnaires transportés par la Bayonnaise de Macao à Shang-hai, le père Hue, avait traduite par ces quatre mots : « Avec un cœur droit. » Sur le second feuillet, l’invitation se trouvait précisée et remplissait deux colonnes d’inégale hauteur : « On vous attend pour une modeste collation le douzième jour de la première lune (4 février), au dixième coup de l’horloge… Vous illuminerez par votre présence Lo-tsuen, qui vous invite humblement. »

Personne ne doutera de l’empressement avec lequel tous les officiers de la Bayonnaise se crurent tenus de répondre à cette gracieuse invitation. Dix heures sonnaient quand nous entrions chez le vénérable Lo, vieillard septuagénaire, qui revivait dans deux fils et dans je ne