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conçus par leur génie. Si Mozart, Beethoven, Weber, Mendelssohn, Cimarosa et Rossini ont été d’incomparables virtuoses sur le piano et des chanteurs exquis, ils n’ont guère interprété que leur propre musique, et, dès les premiers jours de leur enfance, ils ont été possédés du vrai démon qui ne leur a pas permis de s’atteler tranquillement aux rouvres de leurs voisins. Garcia, qui a été, il y a vingt-cinq ans, le plus admirable chanteur qu’ait produit l’école de Rossini, Garcia, qui savait la musique comme la savait son illustre fille, Mme Malibran, n’a-t-il pas voulu également composer des opéras, dont les érudits seuls connaissent aujourd’hui le nom ?

À l’appui de cette argumentation contre les virtuoses et les comédiens qui aspirent à la palme immortelle, on pourrait invoquer encore cette raison, selon nous, fondamentale : tout homme qui fait un appel direct et fréquent à la faculté spontanée de l’esprit, et qui s’habitue de très bonne heure à surexciter devant le public les fibres délicates de la sensibilité, ne sera jamais un génie créateur. Il a suffisamment prouvé par sa docilité à la pensée des autres que la nature ne l’a point destiné à remplir une mission plus haute. Il a dû consumer, dans les études pénibles qu’il faut entreprendre pour s’assimiler avec succès les idées des autres, la part d’invention dont il était pourvu. En un mot, il est encore plus rare de voir un virtuose, et surtout un chanteur, réussir dans la composition, que de voir un orateur devenir un grand écrivain. La même cause produit partout les mêmes résultats.

Il me serait assez difficile de dire au juste quel est le sujet du libretto sur lequel M. Duprez a exercé les loisirs de son talent. Tout ce que nous y avons compris, c’est qu’il s’agit de la jeune fille d’un chasseur qui habite les gorges des Pyrénées, laquelle s’est éprise d’un beau seigneur qui la paie tendrement de retour. Joanita, c’est son nom, n’a plus de mère, et pendant les longues absences de son père, qui court le chamois dans la montagne, Joanita a rempli le vide de la solitude en s’attachant au marquis de Monclat qu’elle ne connaît que sous le nom de Léonce, et dont elle ignore la naissance. Or, il résulte d’un aveu échappé de la bouche de Léonce, pendant qu’il vide avec le père de Joanita une bouteille de jurançon, que le marquis de Monclat, son père, avait eu dans sa jeunesse des relations avec une simple paysanne qu’il abandonna après l’avoir rendue mère. Cette pauvre délaissée qui, de désespoir, s’est jetée dans le gouffre de la Maladetta, était la propre mère de Joanita. Tel est le nœud de ce mélodrame obscur qui, après une suite d’épisodes aussi peu intéressans que le fond même de l’histoire, se dénoue par le mariage des deux amans. C’est sur ce canevas assez vulgaire tant par le style que par le tissu des événemens que M. Duprez a jeté les couleurs de sa palette. L’ouverture ne manque pas de certaines qualités. Après un léger prélude des violons armés de sourdines, on entend chanter derrière le rideau un chœur en vocalises, effet connu dont on ne s’explique pas l’intention ; puis l’orchestre reprend sa marche et achève assez brillamment ce morceau de symphonie, qui n’est pas plus à dédaigner qu’un grand nombre d’ouvertures qu’on entend à l’Opéra-Comique.

Au premier acte, nous avons remarqué une fort jolie romance de ténor, un duo pour ténor et soprano écrit avec beaucoup de distinction, une jolie vocalise pour deux voix de femmes, et puis le trio qui termine ce premier acte, et dans lequel se trouve encadrée une belle phrase de déclamation que Mlle Caroline