Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui a fait de bonnes études musicales, et dont plus d’un membre de l’Institut, sans se compromettre, pourrait revendiquer la paternité. L’exécution de Joanita a été mêlée de bien et de mal. Un élève que M. Duprez ne pourra pas répudier, M. Duprat, a déployé dans le rôle de Stephano une telle exagération de formes pompeuses et de cris héroïques, qu’on a pu craindre un moment qu’il n’allât pas jusqu’à la fin de la pièce. Il a tenu bon cependant, et a su même rester à la hauteur de ses notes de poitrine, qu’il poussait au dehors de toute la force de ses poumons. M. Roger, qui assistait à cette représentation, a pu contempler de ses oreilles la troisième génération de la belle école de chant dans laquelle il a eu la folie de s’engager et dont il est la victime ; mais que M. Roger se console, son émule M. Gueymard ne tardera pas à le suivre dans sa retraite désastreuse.

Ce qui a ravi tout le monde à cette représentation curieuse, ce qui a excité l’enthousiasme des connaisseurs aussi bien que des ignorans, c’est Mlle Caroline Duprez, qui, dans le rôle de Joanita, s’est élevée au premier rang des virtuoses de ce temps-ci. Je le dis sans crainte de me compromettre, il n’y a personne à Paris qui chante comme cette jeune fille de dix-huit ans. Quel style, quelle élégance, et cela sans efforts, avec une voix grêle, où l’on sent encore vibrer la délicatesse de l’adolescence ! Mlle Caroline Duprez attirera tout Paris au théâtre de l’Opéra-National ; son exemple sera une preuve de plus que le Conservatoire est une mauvaise école qui a besoin d’être réorganisée de fond en comble, et M. Duprez trouvera dans le succès de sa fille la récompense légitime de ses efforts et de son activité. Ils ne sont pas communs, les artistes qui, comme Garcia et M. Duprez, peuvent, au déclin d’une brillante carrière dramatique, se survivre dans une créature charmante qui porte votre nom, reflète votre image et reproduit vos intentions dans le plus expressif de tous les arts.

Les concerts sont toujours de plus en plus nombreux, c’est une véritable course au clocher où il se dépense autant de courage que de désintéressement, car il est bien rare que le public qui se rend à ces fêtes de l’art musical y apporte plus que de la bonne volonté et un goût éclairé. Au nombre de ces fêtes paisibles consacrées à la musique instrumentale, nous devons citer celles que préside M. Morin pour l’exécution des derniers quatuors de Beethoven. On sait que Beethoven a composé en tout dix-sept quatuors pour des instrumens à cordes, dont les cinq derniers sont restés jusqu’ici, pour la plupart des amateurs, un problème insoluble. Pour les uns, ces quatuors sont la révélation la plus grandiose du génie de leur auteur, c’est un monde nouveau qu’il aurait entrevu et dont il n’aurait pas eu le temps de sonder l’immensité. Pour les autres, ce sont des compositions étranges, où Beethoven a jeté quelques éclairs de son imagination fantastique, mais qui, dans leur ensemble, présentent des parties obscures et bizarres dont on chercherait vainement la signification. La question ainsi posée, ce qu’il y avait de mieux à faire pour la résoudre, c’était de s’attaquer directement à ces compositions d’un accès difficile, d’en saisir l’esprit et de s’adresser ensuite à l’opinion de tous pour obtenir un jugement qui ne fût point entaché d’idolâtrie. Voilà ce que viennent de faire quatre artistes distingués sous la direction de M. Morin. Ils ont passé des années à se familiariser avec les cinq quatuors de Beethoven, qu’ils exécutent d’une manière admirable. À la séance qu’ils ont donnée le 2 février, nous