Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelle espèce d’émotion voudra-t-il produire en nous ? Décrire la vie du peuple, peindre les paysans de nos campagnes ou les ouvriers de nos villes, c’est déjà une entreprise périlleuse pour qui n’apporte pas dans une telle matière un cœur passionné pour le vrai, une intention élevée et droite, une ame maîtresse d’elle-même. Que sera-ce s’il s’agit de cette race dont la servitude forme le plus mystérieux et le plus lamentable épisode des calamités humaines ? Aux excitations démocratiques ne verra-t-on pas se joindre les rancunes d’une oppression séculaire ? Rassurons-nous : si M. Léopold Kompert est entré avec courage dans tous les détails, dans toutes les singularités de son sujet, ce n’est pas pour y chercher des inspirations vengeresses. Parmi les écrivains juifs de l’Allemagne, il en est plus d’un qui, désabusé d’ailleurs des illusions du judaïsme, ne conservait de ses anciennes croyances que la haine de l’esprit chrétien ; ce scepticisme moqueur dans lequel ils s’étaient réfugiés, ils l’aiguisaient contre le christianisme, et, quoiqu’ils parussent tout joyeux de confondre dans une même ruine l’église victorieuse et l’église vaincue, c’était toujours la colère du vaincu, c’était l’âpre passion du Juif révolté qui éclatait dans leurs écrits. Tel n’est point le romancier des paysans j vifs de l’Autriche ; il aime les croyances de ses pères, il aime surtout ceux qui les ont conservées et qui souffrent à cause d’elles, — et cette sympathie affectueuse, il cherche à la communiquer à ses lecteurs, non dans un esprit de secte et pour une propagande impossible, mais dans un esprit de conciliation, pour la sainte, pour l’éternelle propagande de la paix, de la tolérance et de l’amour.

Le premier ouvrage de M. Léopold Kompert est intitulé Scènes du Ghetto. Il a paru en 1848 au milieu des passions soulevées dans tous les sens, et, malgré tant de préoccupations qui laissaient peu de place aux jouissances de l’art, il a tout d’abord attiré l’attention de l’Allemagne et conquis de précieux suffrages. C’était l’heure des illusions révolutionnaires et des déclamations à grand fracas ; on ne parlait que réformes radicales, on ne voyait partout que pétitions sans fin et promesses sans mesure. À côté de ces étourdissantes niaiseries, voyez cette réclamation si touchante et si humble ! Le conteur recommande ses frères à la bienveillance de ceux qui gouvernent ; il décrit leurs misères, il révèle à bien des gens qui ne s’en doutaient pas la servitude du pauvre Israélite dans les pays allemands, il fait connaître la dureté impitoyable des préjugés et la barbarie de la loi. Ces mots, l’émancipation des Juifs, qui ont servi de texte à tant de harangues prétentieuses, on ne le lit pas une seule fois dans l’ouvrage de M. Kompert, mais, combien cela vaut mieux ! on y songe sans cesse, et on en comprend la douloureuse portée. C’est à son peuple surtout que le romancier s’adresse : il lui prodigue les consolations, il lui apprend à se